Avec ce direct-to-video dont la production fut aussi mystérieuse que mal documentée (le film a d'ailleurs eu droit à deux fiches Sens Critique : "Le jackpot de Noël" et "Papa, j'ai dévalisé le Père Noël"), l'immense Patrick Swayze continue sa stratification en s'offrant les services du sous-estimé James Orr, scénariste du fantastique "Sister Act 2" et réalisateur de "It takes two" ("Papa, j'ai une maman pour toi" avec les jumelles Olsen). Un film de Noël pas banal qui commence par un conflit familial autour d'une poêle à frire perdue dans un carton, prétexte à une scène aussi drolatique qu'économe en narration pour caractériser ses personnages aussi rapidement que précisément et qui démontre tout le savoir-faire d'Orr, qui s'inscrit à mi-chemin entre Spielberg et Miller dans ses enchainements de travellings supersoniques et ses plans iconiques dignes de Joséphine Ange-Gardien.
Bien évidement, nous n'en sommes qu'à la première scène, le plot s'intensifie lorsque le père a pour mission faire les courses parce que sa femme est bloquée à l'aéroport à 2.000 km (plus proche, c'est elle qui se serait farci la corvée). Le film sera parsemé d'autres moments de bravoures sexistes qui en font un objet sûr à mettre devant les yeux de nos têtes blondes. Notamment ce plan digne d'Alerte à Malibu sur une gamine de 16 ans en maillot de bain, signe d'un bon goût absolu, ainsi que cette séquence humoristique où Patrick Swayze entre dans un magasin de sous-vêtements pour acheter un cadeau à sa femme et est très très gêné (au point de préférer dire qu'il veut une culotte pour lui !_!)
Avec une force sans pareil, Patrick Swayze incarne la figure mythologique de père responsable et digne, ce qui se confirme la scène d'après lorsqu'il lâche ses gamins dans un centre commercial où aucun ne voulait aller pour ne pas les avoir dans les pattes pendant qu'il fait ses courses.
Mais ne nous fourvoyons pas dans l'exercice de style qui se limiterait à raconter chaque scène, et teasons simplement la galerie délicieuse de personnages :
- un petit con qui traite devant lui un mec qui sue comme un porc sous le costume du père Noël d'alcoolique au chômage pour dissuader sa soeur de faire la queue pour aller sur ses genoux,
- cette-dite soeur qui passe le plus clair de son temps shootée au sucre à parler avec des rennes,
- le grand frère qui cherche uniquement à pécho (son personnage est une inspiration évidente pour l'hormoneux de "Jurassic World")
- un père ayant perdu de vue la magie de Noël, au point d'avoir oublié la fois où son père lui a acheté un poney (je n'invente pas), signe qu'il est un résidu de petit con ingrat et que les chiens ne font pas des chats
- des méchants pathétiques (certainement soviétiques) qui conspuent la magie de Noël et son mercantilisme capitaliste, dont le plan est de refourguer des faux billets dans les magasins d'un centre commercial pour gagner de la vraie monnaie ; avec cette variation inédite autour du maigre machiavélique et du gros idiot (qui mange souvent, ressort humoristique imparable, et qui pète !)
- une grande méchante diabolique, Carmen Electra en formidable variante de Cruella dont la jupe est si courte que sa culotte est souvent par inadvertance filmée (mais vraiment par erreur). La fin du personnage est digne des plus grandes figures malignes : elle se fait bolosser par une otarie.
- un inspecteur idiot qui confondra le nom de tous les personnages suite à un coup de sabot reçu lors d'une de ses rondes dans la police montée du Canada (la dénonciation qui se cache ici des effets des accidents du travail est terrassante de justesse).
- le vrai père Noël fait son apparition dans un aéroport avec un bob et des lunettes de stoners comme dans tout bon film pour enfant qui se respecte.
Le tout est au service d'un conte de Noël à l'apparence propre et en réalité profondément subversif : la morale étant que les gamins sont les seuls à dépenser les faux billets et les méchants qui n'ont pu commettre aucun forfait seront arrêtés à leur place, James Orr dénonce ici la logique capitaliste en faisant enfermer les banquiers qui ont créé la fausse fiducie en trompant les prolétaires qui n'ont fait que déchirer le tissu social en échangeant de monnaie de singe. Troublante anticipation des dérives d'un système monétaire au bord de l'implosion (le film est sorti quelques temps seulement avant la crise des subprimes). Cette lecture du film prend tout son sens avec la réplique qui fait office de titre de cette critique.
Un dernier mot sur la VF qui a dû coûter plus cher que les effets spéciaux (cadeau pour vos yeux : https://www.youtube.com/watch?v=7U4rTNgt6N8 ) en faisant appel au monumental (mais néanmoins moins grand que Patrick) Richard Darbois qui épuise tout son registre de doubleur pour faire ressortir l'émotion dans les moindres recoins des séquences les plus bouleversantes, dommages que mes petits neveux se soient occupés du doublage du reste des acteurs, sinon c'était dramatiquement au sommet.
Grand film social, fresque impitoyable de l'humanité dans ses terribles travers et tout son espoir, tout simplement merveilleux film de Noël, voilà ce qu'ose être "Papa, j'ai dévalisé le Père Noël".