C'est dans un climat maussade post font populaire que baigne Le jour se lève, la tranche de vie touchante de deux âmes esseulées qui souhaitent se réunir. Mais elles doivent pour cela se jouer d'un destin qui leur est défavorable et d'un homme, dont la manipulation des esprits est le jeu favori, qui tente de s'emparer du leur. Fable humaniste touchante, Le jour se lève est également une oeuvre innovante, le terrain de jeu d'un cinéaste inspiré qui essayera d'y bousculer quelques conventions ainsi que la linéarité narrative typique de son époque.

Il s'essaye en effet pour l'occasion à une narration essentiellement composée de flashback pour illustrer la descente aux enfers de son personnage. Procédé de mise en scène novateur qu'il emprunte à la littérature mais qui n'avait, jusque là, pas été porté au cinéma (ou rarement); il prend alors grand soin de le penser pour l'écran. Désireux d'assumer son idée, Marcel Carné la met en place en usant de longs fondus enchaînés qui ne laissent aucun doute quant à leur fonction d'autant plus qu'un petit arrangement musical les annonce également. C'est fait avec sobriété mais une assurance nécessaire, la frontière entre présent et passé est clairement définie, l'histoire peut être racontée...

Résumer Le jour se lève à ce fait quelque peu historique, que seuls les plus mordus jugeront digne d'intérêt, serait lui faire injure tant il est plus que cela. La plume inspirée de Jacques Prévert, à l'origine de dialogues savoureux, y trouve la fougue et le talent d'un trio d'acteurs en grande forme. Le monstre Jean Gabin prouve une nouvelle fois son aisance face caméra, mais surtout sa forte implication dans ses rôles et compose un personnage d'ouvrier mélancolique auquel on s'identifie en quelques secondes. Sa rivalité avec l'impeccable Jules Berry donne lieu à des affrontements croustillants, lors desquels se confronte le langage fleuri du travailleur au phrasé soigné du manipulateur philosophe. Joutes verbales électriques, dont l'ultime round prend aux tripes dès que son issue se dessine enfin. Entre les deux hommes, deux jolies jeunes femmes: Arletty offre aux films certaines de ses plus jolies scènes (ses dialogues avec Gabin fuyant, joueur puis morose) mais la jeune Jacqueline Laurent peine à se hisser au niveau de ses compères, privant, par la même occasion, son personnage d'un impact qui lui manque cruellement, empêchant son histoire d'amour, qui est pourtant le ciment du film, de trouver tout l'impact qu'on en espérait.

Heureusement, une autre composante, son contexte social, permet de lui redonner un peu de saveur. Le jour se lève brosse le portrait d'une France ouvrière marquée par la crise que le front populaire n'est pas parvenu à résorber. On sent dans les rues de ce Paris peu glorieux un climat de précarité, que Marcel Carné illustre en quelques séquences furtives. Un homme se plaint de ne pouvoir se payer l'hôtel, Gabin parle des boulots difficiles qu'il a enchaînés toute sa vie, du chômage qu'il a connu, une femme quitte son appartement avec pour toute fortune qu'une collection de petites cuillères... Ce climat de restriction renforce davantage la puissance de cette quête d'un sentiment que l'on n'achète pas : celui de l'amour inconditionnel. Le personnage joué par Gabin est un homme entier, un travailleur honnête, qui a peu d'argent mais des principes. Tout spectateur un brin investi se ralliera à sa cause sans y réfléchir à feux fois.

La force du final n'en est alors que décuplé. Un son suffit, il est confirmé dans la seconde suivante par une image terrible, plan somme de ce film, aussi précis et superbement éclairé que les nombreux autres qui l'ont précédé. Marcel Carné conclut son propos par une séquence d'un réalisme percutant, sans mettre les formes, sans en faire trop. Le jour se lève est une belle leçon d'authenticité à la française, un joli représentant de ce cinéma crédible, passionné, finement dialogué et interprété avec un naturel saisissant, comme la France savait alors en produire. Une découverte que tout amateur de ce cinoche à papa en mode vieille France, mais pas que, devrait apprécier.
oso
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le 15 juil. 2014

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oso

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