Boîte crânienne à louer
Trelkovsky humble employé de bureau Parisien se met à la recherche d'un appartement dans un immeuble tranquille où il pourrait profiter de sa toute nouvelle naturalisation. Trelkovsky est un être...
le 12 mai 2015
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Trelkovsky humble employé de bureau Parisien se met à la recherche d'un appartement dans un immeuble tranquille où il pourrait profiter de sa toute nouvelle naturalisation.
Trelkovsky est un être discret et d'une timidité presque maladive; alors quand il visite l'immeuble de Monsieur Zy, homme rigide et froid, quand il fait le tour de ce petit appartement calme et isolé, il est conquis.
C'est durant cette première visite que la concierge lui apprend que l'ancienne locataire, une certaine Simone Choule, a mis fin à ses jours après plusieurs tentatives, en se défenestrant du quatrième étage.
Après la mort de Mademoiselle Choule, Trelkovski prend possession de l'appartement. Mais de fil en aiguilles, de détails en détails, cet appartement, cet immeuble et ses habitants semblent moins accueillants qu'à son arrivée.
Trelkovski se sent épié, surveillé. Les remarques désagréables et autres injonctions autoritaires pleuvent sur la tête déjà fragile de l'expatrié Polonais solitaire.
Trelkovski tourne en rond dans cet immeuble étriqué comme le lapin pris au piège, se cognant contre les murs, cherchant par les fenêtres une quelconque issue de secours, se cachant des regards insidieux de ce voisinage trop propre, trop proche.
Qu'est-il arrivé à Simone Choule ?
Pourquoi s'est elle suicidée ? Les voisins ?
C'est eux qui l'ont poussé au suicide !
C'est cette promiscuité, ce voisinage voyeuriste et inquisiteur qui lui ont fait la peau, ces monstres de perversion cachés sous la sereine carapace du bon bourgeois repu.
C'est en tout cas ce que croit Trelkovski.
Polanski fort du succès critique et commercial de Chinatown se jette à corps perdu sur un projet qui lui tient à coeur depuis de nombreuses années: L'adaptation du roman Le locataire chimérique de Roland Topor, sorti en 1964.
La Paramount débloque les crédits et Roman saute sur l'occase pour boucler ce projet ( Sept semaines de tournages, reproduction complète d'un immeuble de six étages aux studios d'Epinay, liberté de mouvement et financière accrue...) et mettre un terme en beauté à ce qui deviendra sa trilogie de l'enfermement, son triptyque de la psychose (aussi appelée La trilogie des appartements avec Répulsion et Rosemary's Baby).
Polanski comme tout grand artiste ressasse les mêmes thèmes. Il remâche ses obsessions, ses peurs, il les met en images comme pour mieux les exorciser.
Montrer crûment une part de soi, se soigner par l'exhibition outrée, par le regard d'inconnus sur un morceau peu reluisant de sa psyché.
Ce que vient exorciser Polanski/Trelkovski ici, c'est la folie. La lente et inexorable montée de la folie dans la tête d'un homme.
L'isolement progressif de l'individu, incapable de communiquer, d'expliquer sa chute intérieure.
Un instant, une seconde où tout bascule. Un déclencheur violent ou anodin qui fait que le regard se biaise, s'incline légèrement, décalant la réalité et offrant une autre vérité.
Une vision différente des mêmes choses. Une compréhension paranoïaque des mêmes événements.
C'est la mort de Simone Choule qui sera le déclencheur de sa folie pour le fragile Trelkovski. Et l'omniprésence malsaine du voisinage en sera l'accélérateur.
C'est à une lente et fatale perte de repères que nous invite Polanski.
Dès son arrivée dans cet immeuble, cette présentation en apesanteur (à la louma, dont c'est l'une des premières utilisations) du bâtiment, les dés sont jetés.
Les regards en coin, les rideaux tirés, c'est l'exclusion, la peur et le racisme qui semble gravés sur les murs et sur les visages des locataires de cet étrange immeuble.
L'angoisse et la paranoïa se diffusent insidieusement comme ces brimades à priori anodines, ces rumeurs rampantes et venimeuses, cette promiscuité malsaine qui met en péril la vie privée.
Trelkovski se referme comme un coquillage. Le travail de sape de voisins sadiques et d'un moral qui se fragilise de plus en plus opère à merveille et enferme notre homme dans la prison absurde qu'est devenu ce bâtiment sombre.
L'allégorie devient nette au fur et à mesure. Cet immeuble comme métaphore de la psyché Trelkovskienne.
Cet immeuble (montré progressivement vieilli et sali au cours du film par Polanski) aux murs décrépits, fissurés, aux recoins sombres et moisis n'est que le reflet du délabrement mental du héros.
Un immeuble noir, labyrinthique où se croisent les fantômes de Simone Choule, les ombres menaçantes de ces voisins vampires et la sexualité trouble d'un Trelkovski en pleine déliquescence.
Comme pour Rosemary's Baby, le bâtiment est un être à part entière, doté d'une vie propre, il n'est jamais le lieu de paix et de repos qu'il doit être.
C'est le lieu des maléfices, le cauchemar éveillé qui fait de l'entrée rassurante de son "Chez soi" la porte vers une autre dimension, vers un monde décalé et hostile ( La porte des enfers pour Rosemary's Baby, les portes de la folie pour Le Locataire).
L'appartement comme un parasite se nourrissant des peurs et des phobies des êtres trop frêles pour lutter, aspirant tout sur son passage, santé physique et mentale; ne laissant qu'une carcasse vide étendu sur un sofa déchiré.
Polanski clôt sa trilogie des appartements avec un film d'une beauté formelle indéniable, d'une poésie noire, une poésie de l'absurde chère aux Slaves et d'un hermétisme savamment dosé et incorporé avec le génie du maître, faisant naître l'angoisse par petites touches ( Malgré quelques gros effets).
Ce n'est pas l'horreur que recherche Polanski dans Le Locataire mais l'angoisse.
C'est dans ce qui n'est pas ou dans ce qui pourrait être que Polanski situe son film. C'est le décorticage d'un esprit humain, c'est ouvrir en deux une psyché malade et en tirer les germes de la folie, qui intéresse le réalisateur.
Rien n'y est sûr, rien n'est tangible.
L'horreur naît de la vision de la chose, de la réalité de la chose horrible.
L'angoisse est juste l'attente de la chose horrible. Cette horreur qui devient secondaire puisque la peur vient de naître de l'attente et non de l'acte.
L’événement horrifique est désormais caduque, et la peur encore plus prégnante.
Polanski a réussi.
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Créée
le 12 mai 2015
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