En mouvements

Si nous ne saurions prétendre ajouter quoi que ce soit à toute la littérature critique ayant été écrite sur The General, peut-être serait-il judicieux de rappeler à quel point l’œuvre demeure, et en dépit de son âge avancé, actuelle voire même avant-gardiste ! Buster Keaton trouve là une justesse inégalée entre rire et émotion, se saisit du burlesque comme d’une porte d’entrée dans une reconstitution de l’Histoire d’autant plus exacte qu’elle articule rigueur et humanité, ce degré d’humanité découlant de la tonalité comique choisie. Le cinéaste et interprète représente la marche de la guerre par le biais de l’esthétique du mouvement : la mise en scène témoigne d’une fluidité impressionnante – les travellings laissent sans voix –, le protagoniste principal, par des déplacements incessants entre la locomotive et les wagons, en l’air comme au sol, ne cesse de braver les directions et les hauteurs, grimpe une colline pour mieux la redescendre et la remonter encore. Un plan superbe traduit cela : assis sur la bielle, son corps immobile épouse les déplacements mécaniques alors que le train se met en route. Voilà donc deux corps en contact qui fusionnent dans une lutte contre l’ennemi et pour la liberté, synthèse qui s’inscrit dans les nombreuses métamorphoses représentées alors par la littérature (La Bête Humaine, Émile Zola, 1890) et par le cinéma (La Roue, Abel Gance, 1923). Un chef-d’œuvre que sublime la partition musicale de Joe Hisaishi devenue référence.