Ce film possède tout le charme des film fantastiques américains des années 50. La vision du monde est complètement naïve, les personnages sont aussi réalistes que des poupées Barbie et Ken (dont ils ont la coiffure, d'ailleurs). Et pourtant, tout ça dégage un charme fou. J'adore ce genre de films, et dans ce lot, Jack Arnold est un des cinéastes les plus talentueux, à mon avis.
Ici, nous sommes sur un campus où un professeur, Donald Blake, fait des recherches sur l'évolution des espèces. Pour cela, il fait venir de Madagascar le corps d'un cœlacanthe, poisson primitif qui n'a pas évolué depuis des millions d'années.
Le début est stupéfiant. Les événements s'enchaînent à toute vitesse : le chien qui devient fou dangereux, le jeune étudiant Jimmy qui est mordu, puis le professeur Blake qui se blesse sur les dents du poisson, tout va très vite, pas une seconde ne se perd. Et le rythme gardera ce rythme tout au long de ses 77 minutes, qui paraîtront bien brèves. Jack Arnold se révèle, une fois de plus, un excellent conteur.
Puis, une fois le spectateur bien accroché, se met en place une véritable énigme. Et même si on devine petit à petit où il veut en venir, le film ne cesse de nous surprendre.
Une de ses grandes qualités, c'est de ne pas trop se fier aux trucages. Ils n'apparaissent finalement qu'assez peu. Par contre, Arnold joue beaucoup sur la force suggestive de ses images, ce qu'il maîtrise avec brio. La série B dans toute sa splendeur.

Le film aborde même des thèmes qui ne sont pas innocents dans le contexte américain des années 50. le plus important, c'est celui de l'évolution. Dès le début, on voit cette succession de masques dans le laboratoire de Blake, des masques qui représentent l'évolution de l'homme depuis le singe jusqu'à l'homme moderne. Et le film propose de reprendre cette évolution à l'envers : finalement, dans l'homme moderne, il y a toujours ce monstre préhistorique qui sommeille. "L'homme n'est qu'à une génération de la barbarie". 13 ans après la fin de la Seconde Guerre Mondiale, ce type de propos devait avoir un certain retentissement (comme il en a encore de nos jours, d'ailleurs).
Le film propose donc de parcourir cette succession de masques, mais à l'envers. De revenir vers le passé. Le cinéaste s'amuse même d'un paradoxe : c'est le personnage du scientifique, celui qui, plus que tout, représenté la modernité, qui opère cette régression. "Laissons la bête triompher de la recherche de la vérité" : le film illustre à merveille ces propos de Blake.
Dans la seconde moitié, la reprise du thème de Docteur Jekyll et Mr. Hyde est évidente. Car ce monstre enfoui en nous, cet homme préhistorique qui survit dans nos gênes antédiluviens, c'est également le représentant de tous nos bas instincts. Violence déchaînée, sexisme, bestialité...
Mais, comme dans L'homme qui rétrécit (et comme une immense partie de la production du fantastique de ces années-là), il y a aussi le thème du nucléaire qui s'invite. Car si le cœlacanthe devient une sorte de poison ambulant, c'est parce qu'il fut traité aux rayons gamma. Et la peur du nucléaire resurgit de derrière les fagots, cette peur qui terrifiait une population sous la menace constante d'une guerre atomique.

Un grand merci à Rano84 de nous proposer ce film, véritable petit chef d’œuvre du cinéma fantastique, œuvre très représentatrice du travail de Jack Arnold, le grand cinéaste qui se cachait dans de petits films.
SanFelice
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le 31 oct. 2013

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SanFelice

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