Le Mur
6.7
Le Mur

Spectacle de Rikou (2013)

Le désespoir sans le renoncement

Le climax d'une longue série de spectacles de trop. Le Mur a été l'occasion d'un déchaînement de la puissance publique contre Dieudonné. Le gouvernement français s'acharne sur sa personne en raison de ses provocations répétées – à celles posant le plus de problèmes on reproche le caractère antisémite ou négationniste. On, c'est les associations (contre le racisme et l'antisémitisme, défense des droits de l'Homme, etc), LICRA en tête, désormais relayées par l'Etat. Manuel Valls fait de la punition à l'égard de Dieudonné son cheval de bataille et obtient in extremis l'interdiction des représentations de son spectacle Le Mur. Il y parvient en violant le droit et en forçant une ordonnance du Conseil d'Etat.


L'exécutif socialiste se situe alors au-dessus des lois et des pratiques d'un état de droit. La croisade contre Dieudonné ne s'arrête pas aux atteintes à la liberté d'expression, car l'humoriste et activiste est mis sous pression, harcelé, surveillé, avec naturellement l'appui du Fisc et la mise en branle du système judiciaire. Dans la classe politique, on se mobilise ou on se tait. Dieudonné renomme son spectacle « Asu Zoa », variante édulcorée du Mur, où il met davantage en valeur un thème lui étant cher, les croyances et traditions africaines relatives au pays de ses ancêtres, le Cameroun. C'est cependant, globalement, le même spectacle ; les connotations demeurent, l'essentiel des gags et des sujets aussi.


L'interdiction des représentations a eu un fort impact car pour la première fois, un spectacle de Dieudonné s'est trouvé inaccessible ou quasiment sur internet. Il y est visible aujourd'hui mais les copies présentées ont vocation à disparaître. Les fournisseurs bénévoles pourront donc suivre Dieudonné sur RuTube, l'imitation russe de YouTube où l'humoriste a déplacée sa chaîne, YouTube l'ayant fermée en août 2014 (certaines de ses vidéos cumulaient plusieurs millions de vues). Le Mur n'est pas le meilleur spectacle de Dieudonné ni le plus drôle. Par contre, c'est l'un des plus offensifs et désespérés.


L'accélération de la lutte contre Dieudonné, revendiquée et affichée dans les sphères dirigeantes, se ressent. On rit beaucoup, mais ce n'est plus grinçant ou acide, c'est glaçant. Il y a une certaine gravité. Les sujets, le contexte, sont lourds. Marquant le début 2014 pour Dieudonné, période charnière, Le Mur restera un bon témoin de ce glissement vers des performances plus sombres. Désormais, Dieudonné est systématiquement sinon précis, au moins transparent concernant les cibles attaquées ou tournées en dérision.


Le spectacle commence notamment par un retour sur le traitement de la « galaxie Dieudonné » par les médias. Vient rapidement la série de nouveaux personnages, des monstres absolus, ceux qu'on reproche à Dieudonné de synthétiser (lequel prépare La Bête Immonde). Il accueille ainsi Guillaume Laquiche le néo-nazi, un belge qui évoquera le frère de Marc Dutroux quelques spectacles plus tôt. Suivent Mr Ebangué, le tireur sénégalais embauché par l'armée française ; un professeur antillais et suprématiste noir ; et pour remettre de l'ordre, une interprétation d'Alain Jakubbovitz, président de la LICRA intronisé « vanilloderme ». Dieudonné reproche notamment à cet ennemi une attitude mafieuse à son égard et renvoie à des menaces sur sa famille qu'il aurait proférées en public, au tribunal.


Merveilleuse entracte avec la petite séquence de trois minutes concernant Elie Semoun, le genre de pépite redonnant la foi dans le génie de mise en scène et d'écriture de Dieudonné, au cas où on s'impatientait suite à quelques récentes interventions. Il faut dire que la guerre ouverte à l'encontre de Dieudonné a permis de recadrer les choses ; certaines de ses vidéos du dernier semestre 2013 se noyaient dans la démagogie, les a priori et les vaines grossièretés. Après le passage Semoun, Dieudonné revient sur un thème qui a déjà compté : le commerce autour des adoptions. Il incarne Mr Belingua, directeur d'un centre d'adoption au Cameroun.


Surfant sur l'homophobie, les valeurs et frustrations de l'essentiel de son public, Dieudo adopte un postulat assez racoleur et très soralien. Il n'y a pas toutefois la fureur et le rejet unilatéral de Soral (estimant que l'ensemble des couples homosexuels adoptent à des fins pédophiles), toutefois les manipulations liées aux nouveaux-nés sont ici au service d'un couple de gays riches. Le Mal perçu par Dieudonné et le peuple qui l'apprécie est sans doute plus subtil et pluriel. L'humoriste enchaîne alors sur les réseaux pédophiles, sujet assez important là encore, mais peu développé. Le passage est très violent, le point de vue d'une noirceur totale. Dieudo fait référence à des affaires connues, comme celle impliquant Marc Dutroux et un réseau de notables, affaire relayée par des marginaux du monde du spectacle comme Jean-Pierre Mocky.


C'est à ce moment que la sensation d'un fossé entre le monde des humbles et celui d'une élite occulte et immorale est le plus vertigineux. Le Mur du titre, c'est celui entre les résistants d'une part ; le monde factice de l'asservissement et des dominateurs d'une autre. Naturellement, la plupart des gens opèrent des allez-retours ; l'Ananassurance lancée mi-2014 répond à ce besoin d'autonomie à l'égard du ou des « systèmes » installés. Le « dommage » concernant les chambres à gaz et Patrick Cohen arrive un peu après, en réponse à ce journaliste ayant accusé le « cerveau malade » de Dieudonné. Une autre séquence, plus tôt dans le spectacle et dans le même registre, a beaucoup interpellée ses détracteurs ; c'est son « entre les nazis et les juifs, je suis neutre », déclamé sur un ton nonchalant. Le spectacle s'achève sur l'évocation de Romain, le jeune cancéreux mourant dont le dernier vœu était de voir Dieudonné, lequel l'a intégré dans son spectacle.


Le Mur se situe dans la moyenne basse de l'oeuvre de Dieudonné, ce qui place déjà la barre assez haut ; plus haut que l'essentiel des humoristes ou performers peuvent espérer. Le spectacle s'apparente à un instant assez intime, entre le combattant et son public. Il est moins affiné que la plupart du temps, il est aussi bien plus à vif. La démagogie et les simplifications qui se multipliaient dans ses vidéos sont mises de côté, au profit d'un recentrage sur les thèmes chers à l'homme, comme le traitement des civils camerounais par l'armée française il y a près d'un siècle. Dieudonné est un communautariste accusant les communautaristes pour certains détracteurs, ils n'ont pas tout à fait tort, mais la dénonciation de crimes impunis contre les siens est non seulement reçevable, mais surtout essentielle. Dieudonné n'est pas un idéologue, un prophète ni un penseur, c'est un homme d'action, sincère et cynique. Ses fans comme ses traqueurs ont tendance à occulter cette simplicité dont lui ne se cache pas.


http://zogarok.wordpress.com/2014/09/21/le-mur/

Zogarok
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le 20 sept. 2014

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