Exotisme, amours impossibles et engagement font les ingrédients de ce film britannique qui ne semble pas, dans son pitch, nous promettre une grande originalité sur les terres balisées des superproductions de l’âge d’or.
La constitution d’un nouveau couvent dans un palais au sommet de l’Himalaya est l’élément perturbateur idéal pour la nouvelle sœur supérieure, qui va devoir composer avec une communauté locale récalcitrante, des administrées en proie au doute et un compatriote pour le moins sarcastique, ver jovial dans le fruit de cette entreprise chrétienne en terra incognita.
L’un des intérêts majeurs du film relève donc de cette confrontation à un lieu hostile et magnifique à la fois : sur le toit du monde, baigné d’un vent continu, méditation et ressenti prennent une dimension nouvelle. Entre l’ermite qui les contemple et les percussions du village en contrebas, les sœurs se voient contraintes à redéfinir leur mission et un engagement qu’elles n’avaient jamais questionné. Le potager se transforme en parterre de fleur, les visages deviennent plus expressifs et les fresques du palais, ancien harem, témoignent d’un passé qui semblent encore hanter les lieux. L’espace, distribué avec un talent virtuose, devient rapidement une projection mentale et expressionniste ; en contrepoint des vastes points de vue sur les sommets neigeux et la falaise vertigineuse qui borde le clocher, les intérieurs sont un dédale venteux où, sur plusieurs niveaux, on s’épie, on se perd, on s’appelle.
D’un technicolor flamboyant, les décors (intégralement reconstitués à Pinewood !) tranchent avec la sobriété blanche de l’uniforme des sœurs, toiles qui vont se maculer de sang, de boue et de larmes. Dean, sorte de bouffon qui dit la vérité, les condamne dès le début avec le sourire, et s’impose comme le contrepoint de l’ermite qui les toise de sa falaise.
[Spoils]
C’est donc sur une étrange alchimie que se construit ce savant déséquilibre, entre l’immensité et l’intime, le chatoyant des couleurs et l’étouffement des cœurs. Par de menus indices, la vie irrigue la communauté des sœurs, la souffrance de ne pouvoir guérir, les souvenirs d’un passé plus humain, la jalousie ou l’amour. Mais la grande réussite du Narcisse Noir est de se cantonner, malgré les promesses de tout ce faste visuel, dans le non-dit et l’échec annoncés. Certes, l’affrontement final et à la lisière du fantastique entre les deux sœurs fait advenir une victoire des passions néfastes, mais c’est surtout l’écroulement muet d’une structure, d’une hiérarchie et de vœux censément inébranlables qui sont au cœur du récit.
On quitte les lieux et les tentations qu’il a fait sourdre avec l’arrivée de la saison des pluies. La structure fantasmogène du palais s’efface progressivement dans les nuages, qui tirent le rideau sur ce film singulier, ostentatoire comme du Donen et torturé comme du Dreyer, glamour et noir, à l’image de son titre.
(7.5/10)