Le Passé : La Confusion des Sentiments

Asghar Farhadi est un cinéaste définitivement iranien. Outre son origine, c’est surtout son cinéma qui s’inscrit dans la société iranienne. Il dresse à travers ses films non pas le portrait d’un pays, mais le portrait d’un peuple. Le Passé est alors une double épreuve dans la filmographie du réalisateur : son cinéma s’exporte-t-il ? Aura-t-il toujours une identité propre ? Avec ce décalage géographique, l’œuvre de Farhadi prend une envergure conséquente. Ce déracinement permet de montrer qu’il n’installe pas ses récits dans un contexte géographique et social précis mais qu’il tend à montrer l’universalisme des comportements humains. Le Passé n’est pas un long-métrage parisien. Les lieux semblent hors du temps, hors d’une quelconque définition : la maison n’a aucune caractéristique typique, les trains de banlieue passent comme ceux dans Les Enfants de Belleville (2004). Le Passé est un long-métrage sur le déracinement : celui passé d’Ahmad auquel fait écho celui de Fouad, enfant sans présence maternelle.

Les scénarios de Farhadi s’axe autour d’une rupture relationnelle familiale : la mise à mort dans Les Enfants de Belleville, le voyage d’A Propos d’Elly (2009) et la rupture dans Une Séparation (2011). Le Passé prolonge l’intrigue d’Une Séparation reprenant le thème du divorce. Ahmad revient 4 ans après sa fuite à la demande de Marie (Bérénice Bejo, incroyable) pour officialiser leur divorce. L’éloignement et la perte du dialogue, Farhadi le met en scène par une simple vitre d’aéroport empêchant des retrouvailles et de placer les personnages dans une même optique. La tension latente sur laquelle repose Le Passé est due à la superposition de deux relations : celle du Passé (Marie/Ahmad) et celle du Présent (Marie/Samir). L’illustration de cette solitude masculine autour d’une seule et même femme se fait dans le plan séquence muet qui regroupe dans le cadre pour la première fois Samir et Ahmad. Les habitudes de l’un s’opposent aux devoirs de l’autre. Farhadi le montre comme toujours avec une subtilité remarquable. Cette confrontation se fait alors autour d’un simple robinet bouché qu’Ahmad répare alors que cette tâche revenait normalement à Samir (Tahar Rahim, saisissant) qui s’empresse de reprendre la main.

Le Passé prend le temps d’amener son histoire, ou plutôt sa tragédie. Cependant, c’est dans cette distillation de l’information capitale que Farhadi trouve son génie d’écriture. Le long-métrage se révèle alors être une redoutable mécanique qui avance à la manière d’une spirale: le passé d’un des personnages expliquant toujours le présent de l’ensemble. Chaque révélation, judicieusement espacée, redéfinit l’intégralité des personnages et des comportements. La vraisemblance, et donc la maestria, des scénarios de Farhadi résident dans le refus d’un manichéisme facile. Les personnages auxquels il insuffle la vie sont humains et donc complexes et ne disposent pas d’une seule grille de lecture réductrice. Il n’y a pas d’antipathie chez Farhadi, mais une bienveillance pour chaque personnage. Ahmad n’est pas le si juste salvateur qu’il semble être, Fouad est bien plus qu’un enfant colérique, Lucie (Pauline Burlet, sensationnelle) n’est pas qu’une simple adolescente en crise.

Le Passé montre une nouvelle fois l’intérêt du réalisateur iranien pour ce « petit rien qui fait tout basculer ». Après la baignade d’A Propos d’Elly et un homme poussant une femme dans Une Séparation, ce n’est ici qu’une main tenue qui déclenchera la tragédie que Farhadi met si habilement en scène et qu’entoure de conséquences. C’est souvent de l’incompréhension et des décisions hâtives que naît le trouble dans son cinéma. C’est d’ailleurs par un geste commun mais dont le sens est décuplé que Farhadi clôt son film. Comme il le dit dans l’interview qu’il a donné aux Inrocks (n°911), le cinéaste iranien est partisan de ce qu’il nomme la « fin continue » ou « fin infinie ». Ses films sont finalement que l’immersion du spectateur dans une vie autre que la sienne : elle a commencé avant qu’il la voit et continue de s’étendre après qu’il la quitte. C’est sans doute çà qui fait la force des films de Farhadi, ce rôle qu’il donne aux spectateurs de continuer son scénario, d’imaginer et de rêver la suite. Tout cela en imprimant dans la conscience l’œuvre du cinéaste.

Asghar Farhadi est entrain de construire une oeuvre irréprochable que même le déplacement géographique n’aura pas altérer. Le Passé subjugue, émeut, transcende. Le cinéaste iranien est assurément un des plus grands réalisateur/scénariste/directeur d’acteurs.

Le Cinéma du Spectateur
Contrechamp
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le 20 mai 2013

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