Dans un raccourci facile, on pourrait avancer que Nadav Lapid, réalisateur du Policier, est un auteur pour le moins lapidaire. En effet, le premier long-métrage de l'israélien offre une mise en scène particulièrement glaciale et maîtrisée, que le dispositif formel qui le scinde en deux parties distinctes renforce encore. Une première partie se consacre à l'évocation de la vie de Yaron et ses collègues, des policiers d'élite qui se proclament eux-mêmes combattants et sont en charge de lutter contre le terrorisme arabe. La seconde partie montre la répétition et l'organisation d'une prochaine opération fomentée par un groupe de jeunes terroristes...israéliens.

L'intention du cinéaste qui circonscrit les enjeux de son entreprise à la seule société israélienne apparait dès lors : mettre en avant le conflit interne qui oppose de plus en plus depuis une dizaine d'années les classes sociales à l'intérieur de l'État juif. Loin des illustrations habituelles qui s'attachent à dépeindre l'opposition entre israéliens et palestiniens – laquelle demeure bien sûr une réalité – Le Policier fait donc preuve d'une double audace : d'abord s'interroger et du coup mettre en doute l'apparente unité nationale et la cohérence sociale artificielle qui la sous-tend ; ensuite oser un pari formel extrêmement exigeant. L'impression de malaise et d'inconfort prédomine largement, aussi bien face à Yaron et son équipe que vis-à-vis des jeunes rebelles. L'amitié virile et l'instinct grégaire, la culture du corps et de la beauté animent de manière obsessionnelle Yaron, perturbé par l'accouchement imminent de sa femme et la grave maladie d'Ariel son collègue et ami. Mais la récupération cynique et calculatrice de ladite maladie par les supérieurs de Yaron fait plutôt froid dans le dos. Au sein du groupuscule adolescent, trois garçons et une fille, cette dernière ressortit comme le double, maléfique ou caché, de Yaron. Ils partagent le même pouvoir d'érotisation, sont pareillement préoccupés de leur image dans le miroir, l'un avec un bébé dans les bras, l'autre équipée d'une arme et surtout constituent le centre de gravité de leur groupe respectif.

La réflexivité qui s'ensuit donne aussi au film une nouvelle dimension : à côté de l'état des lieux, s'esquissent le trouble et la vacillement qui saisissent à la fin Yaron se perdant dans le regard fixe à jamais de la jeune terroriste. C'est d'abord l'ennemi intérieur qui est ici désigné, et par 'intérieur', on peut également entendre celui dissimulé et enfoui au cœur de chacun. Le constat terrifiant, glacial et sans appel trouve un écho parfait dans une mise en scène dépouillée et froide, campant des personnages complexes et incarnés, multipliant les angles acérés et les plans rapprochés, utilisant une lumière limpide, presque aveuglante. De l'aveuglement, il y en a sûrement dans une société rongée par la haine de l'autre et sa propre détestation.
PatrickBraganti
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le 28 avr. 2012

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