Entre deux Batman, Christopher Nolan, dont la réputation ne cesse de croître, réalise Le Prestige, qu’on peut aisément considérer comme une confession dénuée de modestie sur la conscience qu’il a de son talent.
Les points communs sont en effet nombreux entre les compétences du cinéaste et celles du prestidigitateur, notamment dans leur lucidité quant aux attentes du spectateur : celui-ci tire avant tout son plaisir à s’être fait berner.
La malice du film viendra justement de ce constat, auquel le spectateur va être associé. Car la majeure partie du récit, dont le prologue, accroit son excitation parce qu’elle fait mine de lui donne accès aux coulisses de l’illusion. L’explication des trois temps du tour de magie, tout d’abord, et la manière de suivre la destinée des deux illusionnistes permettent en effet de passer de l’autre côté du rideau de velours. La structure de l’intrigue, ménagée par des flashbacks savants par l’entremise d’un carnet qui dévoile, en abyme, la lecture des secrets du lecteur lui-même occasionne ainsi un certain nombre de vertiges qui permettent de rapidement dépasser le double niveau (l’illusion / les trucages) pour en atteindre un troisième, celui de la mystification. Celle des personnages entre eux, bien entendu, et à terme, du spectateur lui-même.
Pour que ce triple jeu fonctionne, Nolan ne ménage pas ses effets : la reconstitution est classieuse, l’amplitude et la maîtrise des mouvements indéniable, et la photo Wally Pfister, un fidèle du cinéaste, joue savamment des clairs obscurs pour pénétrer les arcanes du monde du spectacle. Dans cette époque où l’électricité commence à faire son apparition, la lumière joue en effet un rôle essentiel, en combat perpétuel avec des zones d’ombre qui sont savamment disséminées au fil d’un récit au long cours. Et le rôle dévolu à David Bowie en Tesla ajoute clairement au charme de l’ensemble, tant le chanteur semble convaincant dans cette posture d’un inventeur de génie, taiseux mystérieux qui aurait accès à des vérités inaccessibles au commun des mortels.
Toute cette ostentatoire galerie de talents pourrait certes finir par irriter, d’autant que les multiples trappes du récit et son accumulation de twists éventent quelque peu l’ampleur promise au départ. Mais Nolan parvient tout de même à conjuguer plusieurs dynamiques complémentaires : celle de la rivalité des hommes dans l’ingénierie, de la place occupé par le spectacle dans une société avide de divertissement, et du statut ambigu des femmes dans cette équation gangrenée par l’ambition et l’obsession de la gloire. Conquêtes, faire-valoir scéniques, complices, armes, leur importance varie au fil de la partie, mais elles n’en restent pas moins les pièces sur un échiquier qui les dépasse.
Le sujet reste évidemment celui des limites humaines face à des ambitions déraisonnables, une obsession chez Nolan – qu’on pense à Inception ou Interstellar. La destruction des individus, qu’elle soit mentale ou physique (mutilation pour l’un, infirmité pour l’autre) est le prix à payer pour que le spectacle devienne réellement marquant. Le spectateur, lui, y laissera une part de sa perspicacité, mais avec un ravissement. Car, on nous avait prévenus : « You want to be fooled ».