Pris d'une subite crise de remords, un flic de choc décide de jouer les informateurs pour une commission d'enquête sur la corruption de la police de New-York. Presque 10 ans après Serpico, Sydney Lumet replonge dans les méandres du travail policier, là où la loi se tord au contact de la rue et de la réalité. Alors que l'on pouvait redouter la redite le réalisateur aborde les choses de façon bien différente.
Tout d'abord Daniel Ciello, le personnage central du film, n'a rien à voir avec Frank Serpico. Grande gueule, tête brûlée, menteur, manipulateur il est tout aussi pourri que le système qu'il s'emploie à démonter. On le découvre violent avec ses indics, incapable de se contrôler face à la contradiction et on le voit même détourner de l'argent lors d'une descente. Daniel Ciello n'est pas un type bien mais il essaye de changer les choses, malgré la loyauté qu'il porte à son équipe, malgré sa nature impulsive, il essaye d'aller de l'avant et se racheter. Le film joue la carte de l'ambiguïté sur les motivations de ce personnage, on ne saura jamais s'il fait ça parce qu'il a une conscience ou parce qu'il essaye de se couvrir des délits qu'il a commit.
Plus que la dénonciation d'un système corrompu c'est cette ambiguïté que Sydney Lumet cherche à exposer. Le film nous dresse un portrait sombre et réaliste du système policier, dans toute sa complexité et sa difficulté. En découle un film rugueux et sobre, qui s'écarte volontiers de toute mythologie (il n'y a aucune fusillade ni aucune poursuite, le contexte mafieux est réduit à sa portion la plus indispensable) pour ne laisser que les déchirements psychologiques des personnages.
Encore une fois Lumet nous montre la lutte d'un homme contre un système aussi injuste qu'implacable. Une lutte désespérée dans laquelle la spirale des événements broie les individus sans que personne ne puisse rien y faire.
Chacun en prend donc pour son grade : Ciello bien entendu mais aussi ses compagnons qu'il essaye d'épargner coûte que coûte, il y a la police qu'on découvre pourrie jusqu'à l'os et il y a aussi la justice, incapable de comprendre l'humain. Rien n'est facile, personne n'est réellement mauvais ni complètement bon. Alors qu'au départ les personnages veulent faire "pour le mieux" ils se retrouvent à essayer de trouver ce qui sera "le moins pire".
Le Prince de New York est une fresque policière dure et noire, une fresque qui s'étale sur pratiquement 3 heures afin de n'oublier aucun détail de cette longue descente aux enfers. On touche là le principal problème du film.
3 heures, c'est long et il faut bien avouer que le film accuse un peu sa densité vers le milieu du métrage où on a le sentiment de patauger un peu. La tension, si savamment distillée lors de la première heure, retombe. Heureusement le film repart, l'escalade finale est parfaitement digne du Lumet des grandes heures avec, notamment, un épilogue simplement génial.
Le narration est certainement en cause (les procès sont par exemple assez déstabilisants dans leur traitement) mais on pourra aussi remarquer que Treat Williams n'a clairement pas les épaules assez large pour porter 3 heures de film à lui tout seul. L'acteur s'en sort globalement bien mais son manque flagrant de subtilité écorne un peu l'intérêt de l'entreprise. Autant il est tétanisant lors de ses accès de colère, autant lorsqu'il faut verser une larme : on y croit moins.
Le Prince de New York est un film ambitieux avec un parti-pris radical (réalisme extrême, pas réellement d'intrigue directrice, pas de manichéisme, pas de spectaculaire), le genre de film qu'on ne peut pas regarder "tranquillement". Un pari audacieux et plutôt réussi grâce à un Lumet toujours en forme malgré quelques choix discutables qui empêchent le film de s'épanouir comme il le devrait. On est passé pas loin du grand film : on a un bon film d'un grand réalisateur ce qui n'est déjà pas si mal, il faut bien le dire.