Sauver le Principal ?

Pour son troisième long-métrage de fiction, le réalisateur, acteur et scénariste Chad Chenouga nous propose un film fort, multi-facettes, autour d'un personnage complexe et torturé, inspiré d'une histoire vraie de tricherie aux examens qui lui est racontée par des enseignants lors d'une projection de son dernier film De toutes nos forces. Il s'inspire aussi de la relation avec son propre frère, qui a le même genre de fragilité mentale que le frère du Principal dans le film. (Chad reprend ainsi le jeu de ni oui ni non qu'il a joué avec son frère devant la tombe de leur mère).

Comment un homme aussi droit, cultivé, quasiment au sommet de sa réussite et en attente d'une promotion imminente, peut-il se hasarder à la pire faute (erreur dira-t-il) qu'un Principal de collège puisse commettre, consistant à tenter d'accéder au corrigé d'une épreuve d'examen pour aider son fils, par ailleurs plutôt bon élève ?

Certes le film ne nous donne pas toutes les clés de la compréhension, mais nous offre plusieurs angles de vue complémentaires pour éclairer la personnalité quasiment insondable voire paradoxale de Sabri Lahlali, incarné par un Roschdy Zem omniprésent, brillant et charismatique, sans nul doute dans un de ses tout meilleurs rôles. Avec ses comportements tortueux, imprévisibles et contradictoires, il nous fait ressentir par ses expressions, pour beaucoup intérieures, la tempête qui agite son crâne. La performance de Roschdy Zem s'appuie sur quelques rôles clés qui l'entourent, également très bien interprétés : son frère, sa Principale, son ex. femme et son fils.

Ce n'est pas un film sur l'intégration et l'ascension sociale, même si ces questions sont bien présentes en toile de fond. J'y vois plutôt un film sur le mensonge (surtout à soi-même), la réussite, l'ambition et la difficulté des relations familiales.

Le premier des éclairages pour comprendre est le lien que Sabri entretient avec son frère Saïd (joué par un excellent et sensible Hedi Bouchenafa), dont la fragilité, les failles et les grandes difficultés de vie au milieu de la cité, ainsi que ses comportements inquiétants sont en quelque sorte le reflet en négatif de Sabri, lui qui est sorti de ce milieu, et dont on sent la peur bleue que son fils puisse un jour s'en rapprocher.

Le second éclairage est le rapport entretenu par Sabri avec sa Principale, Estelle, jouée par une Yolande Moreau savoureuse, délicate, ravie de son poulain Sabri qui doit lui succéder, en qui elle a toute confiance, férus tous les deux de lettres, et pour qui on s'aperçoit qu'elle a le béguin. Evidemment la découverte de la tricherie de Sabri va beaucoup la décevoir, mais quel sera son rôle pour essayer de sauver le Principal ?

Enfin le troisième éclairage est la relation de Sabri avec son ex. femme Noémie, professeure dans le même collège et incarnée par une Marina Hands, toujours aussi juste, dont il essaye de se rapprocher, et son fils Naël (le jeune et prometteur Jibril Bhira, obéissant mais sachant réclamer son espace de liberté), dont la réussite scolaire est la première préoccupation de Sabri. L'impact de sa tricherie et son comportement stupéfiant vis-à-vis de son fils ne manquent pas de mettre en danger ces fragiles relations.

La construction du scénario et une mise en scène efficace, très rythmée, tiennent le spectateur en haleine dans un suspens bien orchestré jusqu'au dénouement assez inattendu, allant à l'essentiel dans une durée de film bien contenue.

Et quelle qu'en soit l'issue, chacun peut se demander à quel avenir Sabri se prépare, probablement isolé de tous, après cette incroyable histoire et une faute qu'on a beaucoup de mal à absoudre !