Après avoir vu "Ma Grand-mère" de Mikaberidze que j'ai adoré à tel point que je le cherche partout, le nombre d'occasions de voir du cinéma géorgien se compte sur les doigts d'un menuisier.

Donc J'ai vu Le Repentir avec un certain enthousiasme cinéphile, petite préciosité que seule les connaisseurs et connaisseuses peuvent ressentir, celle de tenir la rareté, l'archive, l'exotisme, l'étrange, l'inédit. C'est donc avec une certaine jubilation très vite ternie que j'ai regardé Le Repentir მონანიება, ambiance France Culture et chandelles.


Je ne sais pas pour vous mais à moi, la repentance n'est pas le repentir, et surtout, si l'on a aucun regret dans sa vie, il est difficile de savoir à quoi s'en tenir, quoi réparer. Donc on parlera d'un acte même pas transitif, même pas injonctif et encore moins d'un état. Le Repentir exprime par le verbe devenu nom commun donc une volonté vierge invoquant en lui-même un mouvement d'examen de conscience vers la remise en question : effacer l'erreur commise, celle d'avoir cru qu'un bouffon élevé au rang de grâce pouvait tout accomplir.


Personnellement, j'aime beaucoup la lecture de "Qu'est-ce que le national-socialisme ?" de Trotski pour saisir la naissance des tyrans bonhommes venus du peuple. Toujours dans une actualité en prise avec les clairs-obscurs du capitalisme et de son impérialisme mortifère, Trotski saisissait parfaitement le portrait d'Hitler dès juin 1933 (quelques mois après la prise de pouvoir) : "Au début de sa carrière politique, Hitler ne se distinguait, peut-être, que par un tempérament plus énergique, une voix plus forte, une étroitesse d'esprit plus sûre d'elle-même. Il n'apportait au mouvement aucun programme tout prêt, si ce n'est la soif de vengeance du soldat humilié. Hitler commença par des injures et des récriminations contre les conditions de Versailles, la vie chère, le manque de respect pour le sous-officier méritant, les intrigues des banquiers et des journalistes de la foi de Moïse. On trouvait dans le pays suffisamment de gens qui se ruinaient, qui se noyaient, qui étaient couverts de cicatrices et d'ecchymoses encore toutes fraîches. Chacun d'eux voulait frapper du poing sur la table. Hitler le faisait mieux que les autres. Il est vrai qu'il ne savait pas comment remédier à tous ces malheurs. Mais ses accusations résonnaient tantôt comme un ordre, tantôt comme une prière adressée à un destin inflexible. Les classes condamnées, semblables à des malades incurables, ne se lassent pas de moduler leurs plaintes, ni d'écouter des consolations. Tous les discours d'Hitler étaient accordés sur ce diapason. Une sentimentalité informe, une absence totale de rigueur dans le raisonnement, une ignorance doublée d'une érudition désordonnée : tous ces moins se transformaient en plus. Cela lui donnait la possibilité de rassembler toutes les formes de mécontentement dans la besace de mendiant du national-socialisme, et de mener la masse là où elle le poussait. De ces premières improvisations, l'agitateur ne conservait dans sa mémoire que ce qui rencontrait l'approbation. Ses idées politiques étaient le fruit d'une acoustique oratoire. C'est ainsi qu'il choisissait ses mots d'ordre. C'est ainsi que son programme s'étoffait. C'est ainsi que d'un matériau brut se formait un "chef.""


Ce portrait d'Hitler esquisse la manière dont les exploités qui veulent mettre un terme aux injustices sont prêts à légitimer une direction politique grotesque et Le Repentir, s'il n'explique rien, retranscrit fidèlement le "passage à l'acte" politique. C'est une forme de film opératique et une psychiatrie collective.


Ce film raconte, il me semble, les vicissitudes qui amènent tout un peuple à trouver des individus providentiels qui, eux-mêmes, se considèrent comme des clowns tristes, tordus entre l'irréel et les nécessités de mettre de l'ordre dans le chaos. Entremêlant de manière toute aussi rare la tragicomédie et le burlesque, autrement dit le malaise et le pince-sans-rire, l'hilarité sincère d'un Chaplin se voit être remplacé au profit d'une attitude débonnaire et d'un sourire qui tue. L'ambivalence se niche dans tous les recoins, dans chaque séquence ; c'est à la fois singulier et suffisamment manifeste pour ne pas le souligner.


Malheureusement, ni ce Convaincu d'incarner la voix du peuple ni même la volonté de réparer le passé (en l'enterrant plusieurs fois) n'ont échappé à l'absence de clarté et aux trop nombreuses fioritures sans lesquelles ce film aurait été un classique magnifiquement grinçant. Toutefois je lui reconnais de nombreuses qualités, dont celle de se risquer sur un chemin de crête car, au final, le film n'est pas si décousu et semble presque une fresque historique peinte sur un air de Nabucco.


Mon moi cinéphile a toujours un peu de scrupule à déconsidérer des raretés comme celles-ci. Le Repentir n'est pas immédiat et simple et ne se qualifie guère aisément. Si vous désirez voir une chose jamais vue qui parle du sentiment de commettre une erreur et de se rétracter de l'avoir commise, Le Repentir est pour vous, avec toutes ses qualités et ses défauts.

Andy-Capet
5
Écrit par

Créée

le 19 déc. 2024

Critique lue 4 fois

Andy Capet

Écrit par

Critique lue 4 fois

D'autres avis sur Le Repentir

Le Repentir
Fatpooper
7

Le maire de la peur

Curieux film ! Assez long et pas vraiment de manière pertinente et pourtant j'ai apprécié. L'intrigue n'est pas poussée aussi loin qu'espéré mais les auteurs ont le mérite de dresser le portrait...

le 5 nov. 2017

1 j'aime

3

Le Repentir
Andy-Capet
5

Le Scrupule

Après avoir vu "Ma Grand-mère" de Mikaberidze que j'ai adoré à tel point que je le cherche partout, le nombre d'occasions de voir du cinéma géorgien se compte sur les doigts d'un menuisier.Donc J'ai...

le 19 déc. 2024

Le Repentir
Marlon_B
5

Deux en un

Aboudalzé sauve selon nous ce film grâce à l'idée ingénieuse de le dédoubler: le premier, récit narrant la mort puis grâce à un flashback, la montée au pouvoir (très, très, très lente: 1h20 pour...

le 17 juin 2017

Du même critique

Into the Wild
Andy-Capet
2

Un connard de hippie blanc en liberté

Sur Into the Wild, je risque d'être méchant. Non, en fait, je vais être dur. Parce que j'assume totalement. C'est autant le film que ce qu'en font les admirateurs de ce film qui m'insupporte. Que...

le 27 janv. 2014

67 j'aime

71

Disneyland, mon vieux pays natal
Andy-Capet
7

Achète-moi un conte prêt à raconter

En tant qu'ancien travailleur de Disneyland, je ne suis jamais senti à ma place dans ce milieu. Tout ce que je voulais, c'était travailler en m'évadant. Ce fut le contraire. J'ai perdu mon innocence...

le 26 avr. 2013

60 j'aime

42

RoboCop
Andy-Capet
9

Leçon cinéphile adressée à tous les faux-culs prétentieux.

L'humour satirique et grotesque dans Robocop est une porte infectieuse pour laisser entrevoir autre chose que du pop corn pour petit garçon, une porte qui laisse un aperçu de cette société tyrannique...

le 10 déc. 2013

51 j'aime

38