[Critique publiée dans CinéVerse]

Enfants, nous avons des rêves. Des rêves innocents et simples, comme devenir pompier, ou incroyables et chimériques, comme se réaliser astronaute… Des rêves trop ambitieux pour nos capacités, quelquefois. A mesure que nous entrons dans l’âge adulte, nous expérimentons le principe de réalité théorisé par Freud, du décalage entre nos désirs et nos possibilités. Tout bien réfléchi, ces fantaisies étaient absurdes, voyons. Alors, petit à petit, nos rêves s’éloignent. Lentement, progressivement… Jusqu’au jour où nous les abandonnons définitivement, irrémédiablement, comme un labrador trop encombrant sur une aire d’autoroute la veille d’un départ en vacances. Faut-il renoncer à ses rêves ? Ou au contraire, faut-il s’accrocher à cette part d’enfance, coûte que coûte ? Dans Le Roi des Imposteurs de Robert Mulligan qui ressort en DVD/Blu Ray chez Elephant Films, Ferdinand Waldo Demara (Tony Curtis), a choisi de ne rien choisir, et de devenir tous ceux qu’il rêve d’être.


Inspiré d’une histoire vraie : Depuis son plus jeune âge, Ferdinand Waldo Demara est passé expert pour inventer des histoires et usurper des identités et positions sociales indues. Malgré les mises en garde de son tuteur le Père Devlin (Karl Malden), ses 400 coups ne diminuent pas avec l’âge. Tour à tour, avec adresse et talent, il parvient à se faire passer pour un militaire, un moine, un directeur de prison, un médecin… entre autres professions.



Entre Peter Pan et Serge le Mytho



Le Roi des Imposteurs, comédie méconnue de Robert Mulligan de 1961, nous rappelle le plus contemporain Arrête-moi si tu peux (Steven Spielberg, 2002), où Leonardo DiCaprio incarnait lui aussi un faussaire aux mille visages. Mais la comparaison n’est qu’apparente, et si Le roi des imposteurs joue bien entendu la partition de la fugue divertissante, il se pare également d’une réflexion philosophique sur la sincérité de notre existence.


« Le monde entier est un théâtre, et tous, hommes et femmes, n’en sont que les acteurs. Et notre vie durant nous jouons plusieurs rôles. » écrivit William Shakespeare. Ferdinand Waldo Demara pourrait faire sienne cette citation, tant sa vie fut une constante représentation, où le vrai se mêlait au faux. Le propre du vrai imposteur est de ne jamais éprouver le syndrome de l’imposteur, cette sensation de ne pas mériter les succès que l’on obtient. Alors, rêver sa vie, ou vivre ses rêves ? Ce carnaval grandeur nature met en abyme la condition du comédien qui lui aussi, passe sa vie à jouer à l’autre, sans en avoir les qualités propres. Si Tony Curtis souhaitait tant jouer ce film, c’est qu’il avait probablement trouvé au fond de lui-même ce quelque chose de Demara, cette pulsion de fuite de la réalité pour jouer d’autres rôles.



La vérité si je mens



Robert Mulligan n’adaptera le classique littéraire de Harper Lee, Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur, que deux ans plus tard, en 1963. Mais ce Roi des imposteurs, porte déjà en lui les mêmes vertus d’humanisme qui feront le succès de To Kill a Mockingbird. Le segment de la prison, ou Demara recherche la dernière parcelle de bonté dans le cœur de ses prisonniers les plus endurcis, rappelle la lutte en clair-obscur entre le mal et le bien. On retrouve également les mêmes impératifs de justice et de vérité, notamment transcendantes, quand le faussaire demande le secours de Dieu pour guider ses mains de faux médecin, au cours d’une opération chirurgicale qu’il dirige. « On peut tromper mille fois mille personnes » écrit cet anti-héros facétieux en début de film. Sans doute. Mais le croyant peut-il indéfiniment tromper Dieu, et l’athée toujours se tromper lui-même ?


Sans atteindre le tragique de L’Adversaire (Nicole Garcia, 2002), autre imposteur célèbre du cinéma, Le roi des imposteurs montre que nos rêves, loin d’être une manifestation de notre liberté, sont parfois des pièges qui se referment sur nous. Lorsqu’ils deviennent obsessionnels, ces désirs nous enferment dans une prison mentale, dont nous sommes à la fois le prisonnier et le maton. Nous serions ainsi responsables de notre propre enfermement, comme lors de la pirouette finale du film, où Tony Curtis se fait passer pour le policier censé l’arrêter lui-même. Avant de croire en ses rêves, il faut déjà croire en soi-même, et se souvenir des mots d’Oscar Wilde : Soyez vous-même, les autres sont déjà pris.

Kieros
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le 4 sept. 2021

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