Le Royaume des abysses
6.9
Le Royaume des abysses

Long-métrage d'animation de Tián Xiǎo-Péng (2023)

Le jeu de mot était facile, désolé.

Je serais bref sur le film, car pour moi il se distingue par 2 points, et je commencerais par le plus évident ; wow. Genre vraiment c’est beau. Le nié c’est soit avoir une analyse visuelle supplémentaire, soit être malhonnête. Parce qu’on ne peut nier que ce déferlé de couleur, c’est impressionnant, sans oublier la créativité des environnements ; ces poissons étincelants, ces fonds regorgeants de vie, cette eau d’un rare réalisme, ce restaurant sous-marin splendide, ces personnages si proches et pourtant variés dans leur apparence, ou encore ces fonds et plans larges dont les traits, les coups de pinceaux et l’animation font penser à des peintures de Van Gogh ou des films de Miyazaki… j’en perd les mots !

Rien que pour cette vie qui s’immisce dans tout l’écran, je ne peux qu’applaudir avec sincérité et respect le film. Qui plus est, la mise en scène sait rendre éblouissant cet univers. Que ce soit tous les plans ou ce qui habite l’écran part dans tous les sens, débordant de l’écran comme si celui-ci ne suffisait pas à capter la folie de ce qui s’y passe, ou bien les plans séquences et contres plongées suivant les protagonistes prend dans de folles courses, ou bien la manière dont est filmé le sous-marin menant ses tours de passe-passe aquatiques… on reste accroché face à ce spectacle visuel.

D’ailleurs, au final, même ce qui semblait faire tache lors du visionnage des bandes-annonces, à savoir l’animation des visages faisant très « vallée de l’étrange » (uncanny valley), on finit par s’habituer et même, je pense, à y trouver un certain charme. On voit bien que l’inspiration principale, c’est l’animation des mangas et animés, qui peuvent se permettre des traits grotesques et plus absurdes par le fait que le support le permette et le rende crédible. Mais là, avec une photographie assez réaliste, on obtient un mélange qui fait qu’on voit un visage plutôt réaliste, être déformé avec trop de facilité… c’est très perturbant, mais dans mon cas j’ai réussi à m’y habituer, trouvant que ça permet de donner une touche plus « folle » (dans un bon sens) au visuel qui se déchaine, plus créatif, mais aussi plus original.


En parlant d’original.

C’est le 2ème point que je souhaitais aborder, et je serais moins clément. Le film commence – ou pire, le synopsis lu – que tu sais ce qui va se passer, et comment ça va se terminer. Une gamine mal dans sa peau car négligée par son père qui s’occupe plus de sa nouvelle famille, et qui a peur d’être rejetée par la mère, voyage dans un paquebot pour une croisière avec des personnages variés, hauts en couleurs, et aux décors nombreux dedans. Lorsqu’elle finit par tomber dans l’eau… bas on sait où ça va aller.

(Je préviens, je spoil un peu à partir d’ici).


Tout ce monde, cet univers, bah elle le rêve une fois tombée à l’eau, et tout ce qui compose son rêve, protagoniste inclus, sont du fait de ce qu’elle voit à bord du bateau. Ça se manifeste de plusieurs façons : dans le paquebot, juste avant le déclenchement des évènements et la tempête, la jeune fille vogue toute seule. On voit alors un vendeur qui tient une marionnette, un livre dans une librairie sur un restaurant caché dans les abysses avec des créatures fantastiques et mignonnes pour l'entretenir, et un clown, dont on ne voit pas le visage, mais dont on entend la voix.

Et là, c'est la catastrophe, parce qu'on sait déjà où ça mène. Alors j'avais pas capté pour le marionnettiste, mais le livre sur un restaurant sous l'eau avec des petites créatures poilues toutes mignonnes, qu'on voit littéralement comme mascotte de la société de production... vous me prenez pour le roi des cons ou la reine des putes ? Sans parler du clown, dont on entend la voix immédiatement reconnaissable parmi toutes les autres !

Wow (pas pour les bonnes raisons).


Vraiment là ? Le coup de "en fait elle l’a rêvé", c’est pas le scénario si usé et cliché qu’on l’utilise plus ? Parce que là c’est du foutage de gueule. Tu proposes un univers si beau, pour un scénario si banal ? Et tout ce qui s’y passe pendant fera aussi parti de la déception vue d’avance ; elle n’est pas la bienvenue dans un univers avec des créatures loufoques (comme dans les Miyazaki), elle "porte la poisse", le protagoniste "looser incompris" va lui mentir pour son intérêt mais va la sauver une fois, puis se lier d’amitié, elle va presque se voir chez elle ici, l’équipage qui l’aime bien avant les principaux gérants du navire… et bien sûr, le cas du "démon" qui s’attaque à eux, qui n’est autre qu’une métaphore de sa dépression qui s’en prend à elle (déjà vu dans le garçon et la bête, qui m’avait déjà déçu sur cet aspect car trop cliché).

Et enfin, on aura un récapitulatif final de ce qui a causé ses rêves. Disons que c’est fatiguant de voir quelque chose de si neuf mais en même temps si usagé et vieux. Tu as réinventé le visuel, mais pourquoi se contenter que de ça ?

Et encore, ce serait passé si les personnages étaient un peu plus développés que ça, sérieusement. Shenxiu, la protagoniste, se caractérise par le fait qu’elle soit rejetée de sa famille et ait peur de l’abandon ; quoi d’autre ? Personne ne le sait, et certainement pas le film. Nanhe, il tient un restaurant et est très énergique, n’hésitant pas à mener des actes quelques peu louches sur le plan moral pour obtenir ses fins ; quoi d’autre ? Personne ne le sait, et ce qui me tue, c’est que bien qu’on suppose qu’il le fasse par passion, c’est même pas clair. Pas qu’il devrait dire « je le fais parce que j’aime ça », mais la seule fois où il en parle c’est pour dire qu’il veut ouvrir plus de restaurants, c’est tout. C’est très léger, et franchement pour quelqu’un de si dynamique c’est triste de le voir réduit à ça, car on a l’impression qu’il consacre tant d’énergie… pour rien. Car peut-être que ce restaurant, c’est parce qu’il aime être chef (on voit souvent ça mais on sait pas le liens avec son équipage ; il les aimes ? Il les prend pour sa famille ? Parce que les seules interactions ce sont des ordres), ou qu’il veut vivre l’aventure, ou faire découvrir ses talents au monde… et bien on aura le droit qu’a des idées personnelles.

Même la mère, on ne sait pas ce qui la pousse à si peu parler avec sa fille, ce qui caractérisait leur relation avant en dehors de Shenxiu qui était heureuse. C’est tellement vide que même la mère absente du conte Disney a plus à en dire.


Et ce message de fin... "faut toujours tenir dans les moments difficiles"... oh, merci :)

Va te faire foutre, ta gamine a besoin de l’hôpital psychiatrique et de parents aimants et présents, pas de sourire en se disant "borf, ça va j'ai des amis imaginaires :)". Et puis même, on l'a vu ton film, pourquoi tu nous dis ça ? C'est pas ce que disait ton film ? T'aimais pas ton film ou tu savais qu'il était si banal que t'as préféré expliqué le propos pour éviter que les gens l'oublient pendant le film ?

N'empêche ce serait drôle ce genre de message de fin dans des films genre "Salo", j’attends de voir cette version.


Retournons à nos moutons… tout ce cinéma si sublime, pour la plus basse des banalités ? Alors bien sûr c’est pas le scénario, ni l’histoire, qui va faire le film, mais quand on nous imbrique dans de tels rouages, on va jusqu’au bout, et on nous propose quelque chose qui vaille la peine de rester.

Toi qui me promets monts et merveilles visuelles, pourquoi je n’ai pas droit à la même considération sur un scénario que tu t’efforces à instaurer, et une histoire si plate ? Pas besoin de quelque chose de poussé, même pas besoin que ton scénario soit visible ! De bien des films que j’ai pu voir, j’ai souvent constaté que les meilleurs étaient ceux dont le scénario comme l’histoire étaient les plus discrets, presque invisibles, faisant prévaloir l’esthétique visuelle ; mais attention ! C’est sur ce dernier point que je pense il faut éviter de tomber, car il ne faut pas confondre discret et faible, simple et maladroit. Ici, on a eu le maladroit et le faible, et c’est bien dommage, car même quelque chose embrassant les 2 précédentes qualités auraient fait de ce film une merveille inoubliable.

Malheureusement, je retiendrais de ce film une merveille contestable.

Hic-Sunt-Dracones
5

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le 21 févr. 2024

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