De la bûche au sabot
Jacques Demy, alors assez jeune, décide de filmer un homme qui pratique un métier en voie de disparition : un sabotier. Mais au delà de filmer la précision de ses gestes et son quotidien, il filme...
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le 6 août 2020
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Entre deux étés (1942 et 1943), Jacques Demy a vécu chez un couple d'artisans, au lieu-dit La Pierre Percée. Ses parents l'y envoient pour l'éloigner des tourments de Nantes en cette période d'Occupation [Agnès Varda fera mention de cet épisode dans Jacquot de Nantes (1991), fiction consacrée à la jeunesse de son mari]. Dès ses seize ans, Demy filme le sabotier pour un documentaire muet qu'il nomme Le sabot. En 1955, il rend hommage à ce vieux couple et à sa profession en réalisant Le Sabotier du Val du Loire. Le futur réalisateur des Parapluies de Cherbourg n'a encore réalisé que des courts-métrages anecdotiques et celui de fin d'études (Les Horizons Morts).
Officiellement c'est un documentaire, mais les commentaires en font plutôt une dissertation 'analytique'. En-dehors des séquences de fabrications plus minimalistes, la mise en scène s'autorise à interpréter (ce sera plus marqué encore pour Ars, fruit d'une commande, son court le plus éloquent). Dans tous les cas, on est loin du Demy connu, celui des comédies musicales, même de leur dimension plus assimilable à du 'drame décalé' (Lola, Peau d'âne). Le Sabotier raconte ces gens placides, modestes, jamais turbulents ni éclatants, jamais tenté par quelque corruption ou nouveauté ; fidèles à leurs tâches, leurs devoirs et leurs relations, mais fondamentalement désengagés.
Le fatalisme campagnard a rarement été exposé avec une telle intelligence. Pourtant les mots de Demy sont simples, son investigation prudente, carrée. Ces gens sont fondamentalement dans l'acceptation ; ils ne sont pas hostiles par exemple, éprouvent peu de sentiments négatifs ; des revendicatifs, au minimum. Ils sont en contradiction avec les clichés dont on les accable et auxquels ils ne répondent rien, car ils se désintéressent des bruits du monde comme des grilles de lecture clinquantes ; c'est que leur fatalisme est inné, donc forcément très limitatif.
Il est absolu et banal à la fois. La notion d' « ordre des choses » règne. Les jeunes partiront, la chance passe, les hommes sont sans surprise et les cycles naturels se répètent. C'est la vie ; c'est la notre en tout cas et il faut rester à son poste. Par rapport à la société, ils sont des membres loyaux, mais autonomes et apathiques. Ils ne sont pas les défenseurs ou encore moins les propagandistes de traditions ; ils en sont les garants par leur existence même, leur routine. Et à l'époque où Demy vit puis filme ces existences, elles ont déjà connu un grand déclin et approchent de la désuétude.
À cause d'un caprice de diffuseurs, ce court-métrage de 29 minutes est accessible dans une version écourtée (de quatre environ). Pour ce premier projet d'ampleur, Demy était supervisé par Georges Rouquier, réalisateur de documentaires sur les métiers. Il sera son assistant pour le tournage de SOS Noronha (1957), où il rencontre Jean Marais, qui lui présente Jean Cocteau. Ce dernier lui permettra de mettre en boîte une adaptation de son Bel Indifférent ; avec ce court-métrage tourné avec des proches (le décorateur et l'actrice), Demy annonce sa future carrière, plus rococo, tout en étant encore dans l'étalage d'une mélancolie soft (vivable).
https://zogarok.wordpress.com/2016/03/05/quelques-courts-de-demy/
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le 26 déc. 2015
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