Film très particulier au sein de la trilogie du sabre de Misumi, "Le sabre" est moins un chambara qu'un drame psychologique qui met en scène deux jeunes hommes passionnés de Kendo qui vivent leur art d'une manière tout à fait différente, l'un étant sur la voie traditionnelle, rigoureuse, spartiate même, l'autre s'accommodant parfaitement de l'époque, une influence occidentale envahissante qui fleure bon le swinging tokyo et la libération des moeurs. La pureté du premier, sa simplicité, sa force, dérange le second, attise sa jalousie, et le pousse à mettre en doute son authenticité qu'il préfère prendre pour une simple façade. Le groupe, l'école est l'élément central autour de ces deux capitaines d'équipe qui s'entraînent pour gagner le prochain championnat. Suite à un choix du maître de l'école, Kokubu (Ichikawa), plus discipliné, est promu capitaine de l'équipe, et Kagawa est choisi pour le seconder ce qui le pousse encore plus à mettre en doute son hygiène de vie soit disant irréprochable.
Le thème est fort, Ichikawa est parfait dans son personnage d'un seul bloc. C'est un être sans une égratignure, saint, même aux yeux de son maître, illuminé par le soleil qu'il vénère comme la justice ultime, mais aussi un être froid et rigoureusement hermétique qui ne s'accorde aucun autre plaisir que le kendo et surtout aucune faiblesse qui le rendrait finalement plus humain. Le stage d'entraînement effectué dans un décor de rêve, mer et plage à portée de mains, est mené de mains de fer par Kokubu qui impose à ses recrues un travail acharné plus ou moins accepté par le groupe mais surtout dénigré par Kagawa. Celui-ci tente au maximum de liguer les autres et de faire redescendre Kokubu de son piédestal, lui qui ne veut finalement que partager avec ses élèves l'accomplissement engendré par la souffrance et la perfection qu'il recherche dans son art.
Sa fin brutale, ce noir et blanc oppressant, magnifique, cette jeune femme qui tente de séduire l'imperturbable capitaine, ce jeune élève, Mibu, qui sait que son modèle ne peut tricher, qu'il est au dessus de la banalité ambiante, ce sous capitaine, envieux, incrédule, libéré et pourtant fasciné et aussi frère de Kokubu ; Tout cela donc est très particulier, riche en messages et maîtrisé de bout en bout sans pour autant rechercher une fulgurance esthétique de chaque instant, moins primordiale que dans "Tuer".
Reste en fait l'implication du spectateur qui devra lui aussi trouver assez de sympathie à ce capitaine pour passer outre sa rigueur, sa quête futile et essentielle à la fois, cette recherche de la force disciplinaire du passé dans son présent, mais aussi son refus de l'avenir et du moindre projet, sa négation de la vie en somme, hormis son rêve de gagner ce fameux championnat.