Durant les années 70/80 de nombreux réalisateurs français vont faire quelques vas et viens salaces entre le cinéma érotico-pornographique et quelques tentatives de cinéma de genre. C'est le cas de Jean Rollin qui finançait ses films en tournant des pornos mais aussi de Claude Mullot (La Rose écorchée), de Michel Lemoine (Les Week-ends Maléfiques du Comte Zaroff) , de Gérard Kikoîne (Dr Jekyll et Mister Hyde), Francis Leroi (Le Démon dans l'île), Michel Ricaud (Sexandroide) et quelques autres. Jean François Davy fait parti de cette génération là, nourrie aux mamelles de la libération sexuelle, des salles de quartier et du désir d'expérimentation. Un réalisateur/producteur/scénariste plutôt éclectique ( il a produit La Meilleure Façon de Marcher de Claude Miller) qui œuvrera souvent dans la comédie, un peu dans le cinéma de genre mais dont la notoriété viendra surtout de ces documentaires sur le sexe et la pornographie dont le plus célèbre reste Exhibition, grand succès de 1975. Avec Le Seuil du Vide , adaptation d'un roman de Kurt Steiner, le réalisateur signe sa seule et pourtant prometteuse incursion dans le cinéma fantastique.
Le Seuil du Vide nous raconte l'histoire de Wanda, une jeune femme peintre qui monte à la capitale dans l'espoir d'y percer en tant qu'artiste. Elle trouve un logement chez une vieille dame qui lui propose une chambre pour un loyer dérisoire. Dans cette chambre il y-a une mystérieuse porte condamnée que la vieille femme interdit d'ouvrir ce qui forcément va attiser la curiosité de la jeune fille.
Dans l'esprit Le Seuil Du Vide fera beaucoup penser aux premiers films de Roman Polanski avec un quotidien qui vrille doucement vers le fantastique et un personnage qui perd pied entre rêve et réalité. La chambre louée par le personnage de Wanda est déjà en elle même un formidable seuil d'inconfort avec son aspect sale et décrépi , son papier peint immonde rayé vert et orange et son ambiance oppressante que Jean François Davy renforce avec un formidable plan aérien de ce décor ressemblant d'un coup à une boîte contenant un animal en cours d'expérimentation. Quant à la fameuse pièce interdite elle est une sorte de trou noir dans lequel règne une opaque obscurité que le personnage finira par explorer doucement y trouvant l'inspiration pour ses toiles, des visions étranges et prémonitoires et des univers oniriques proche du cauchemar. Le mystère entourant cet endroit est plutôt bien géré et l'on se retrouve en tant que spectateur dans la même curiosité et incertitude que le personnage du film. Je n'irai pas jusqu'à dire que le film est captivant tant il souffre parfois de sérieuses baisses de régime mais Jean François Davy parvient à tenir son récit et maintenir l'attention du spectateur jusqu'à un final désarmant de simplicité et d'efficacité. On sent également que le réalisateur se fait plaisir en jouant de nombreux artifices de mise en scène pour appuyer son climat fantastique et étrange; effets de polarisation des couleurs, images de kaléidoscope, inserts de montage digne d'images subliminales, superposition d'images, zooms et dézoomes agressifs, décors surréalistes, ambiances vaporeuses ... On pourrait presque reprocher à Jean François Davy d'en faire parfois un peu trop mais certainement pas d'oser des choses et de faire un travail de pur mise en scène. L'ambiance globale du film du film est d'ailleurs assez réussi à l'image d'un étrange bal costumé avec des personnages poudrées et maquillés arborant des tenues extravagantes.
L'interprétation est globalement d'un bon niveau même si j'émettrais quelques réserves sur la comédienne Dominique Erlanger pourtant récompensée au festival de Trieste qui interprète le rôle principale de Wanda. Si dans un premier temps la comédienne est parfaite dans son rôle de jeune provinciale pleine de charme et d'insouciance, la comédienne semblera bien moins à l'aise lorsque la mystérieuse pièce sombre commencera à la la faire changer physiquement et psychologiquement. Rien de vraiment catastrophique, mais la comédienne semble parfois un peu perdue entre le trop et le pas assez donnant à son rôle une soudaine dimension plus caricaturale et artificielle. Aux côtés de la comédienne on retrouve un solide casting de seconds rôles avec Jean Servais, Catherine Rich, Michel Lemoine ou Pierre Vaneck , plus bien sûr le plaisir de retrouver quelques visages familiers du cinéma français des années 70 comme Claude Melki et Arlette Emmery.
Le Seuil du Vide est un bon petit film fantastique et une agréable surprise . Jean Français Davy évite soigneusement les artifices de l'époque comme la forte érotisation des personnages féminins pour nous livrer une histoire étrange et surnaturelle, certes pas toujours palpitante, mais qui tient la distance sans ennuyer. Il reste à espérer qu'un jour un éditeur DVD commeLe Chat qui Fume se penchera sur Le Seuil du Vide sans y sombrer.