To give and let die.
Traiter la guerre, c’est se confronter à une barbarie universelle. Qu’un film américain choisisse le point de vue des allemands, comme l’a fait Peckinpah dans Croix de Fer, en est une preuve. Mais...
le 16 mars 2017
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Traiter la guerre, c’est se confronter à une barbarie universelle. Qu’un film américain choisisse le point de vue des allemands, comme l’a fait Peckinpah dans Croix de Fer, en est une preuve.
Mais un détour par le parcours de Douglas Sirk est nécessaire pour comprendre les intentions de son œuvre : fuyant l’Allemagne en 1937 (une année qualifiée d’exceptionnelle lorsqu’on ouvre une bouteille, l’occasion d’une jolie réflexion sur le fait qu’on devrait connaitre l’histoire aux crus d’exception d’avantage qu’aux dates de conflit), il y laisse son fils qui sera tué sur le front russe en 44. Lors d’un bref retour en Europe à la fin de la guerre, il tentera de retrouver des traces de son histoire, dont ce film est, en un sens, une version romanesque. Cette recherche d’une période perdue irrigue tout son projet, placé résolument sous l’égide du temps.
Le temps de la permission, le temps suspendu de l’éclosion amoureuse, les tentatives d’aller au-devant de sa durée (par un mariage précipité, par exemple) n’y font rien : on ne quitte jamais la guerre.
Le sentiment d’urgence permet l’émergence du récit : puisqu’il s’agit pour Ernst de dépenser en deux semaines trois années de soldes, il lui sera donné une vie entière sur un temps restreint. On croit, un temps, que certaines marques permettent la transfiguration : après, tout, l’incendie d’un bombardement a bien permis le fleurissement prématuré d’une branche (et l’épanouissement conjoint d’un technicolor inimitable) et le papier issu du mariage peut être le moyen de sauver une vie. Dans cette Allemagne à la fois belliqueuse et agressée, chacun vit : on boit, on danse dans les caves sous les bombes, et l’on se serre les coudes, du bon ou du mauvais côté de la morale. Dans chaque sphère, un relais : chez les civils, le chorryphée anonyme qui gère les messages de détresse sur les portes ; chez les soldats blessés, Ernst dont les amours permettent un espoir par procuration à ses camarades de chambrée ; chez les nazis, un nanti qui souligne l’aveuglement de la puissance et l’opportunisme veule des individus.
Pourtant, si le temps se dilate, le rétrécissement de l’espace tend à apporter un démenti aux illusions : les vastes espaces du champ de bataille encerclent un noyau dans lequel tout semble étriqué : les cages d’escalier où la logeuse épie, une chambre de bonne, les abris, et des lieux de divertissement qui finissent par être réduits en cendres.
On ne quitte jamais la guerre : la vivre en couple, est-ce l’endurer avec plus de force, ou en ayant d’avantage à perdre ? Le pessimisme qui semble de mise, ingrédient fondamental du mélo gorgé de pathos, ne semble pourtant pas gangrené par le tragique. Parce qu’entre deux incendies, il y a eu la flamme. Parce qu’entre deux missions, il y aura eu la désobéissance pour les civils. Parce qu’on affirme clairement qu’il faudra que ce conflit soit perdu pour que la nation retrouve son âme.
Parce qu’au sein du pays ennemi vu par Hollywood, on aura discerné des individus qui, à la faveur d’une permission qui leur aura donné le temps d’aimer, auront révélé leur humanité.
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le 16 mars 2017
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