En 1965, le tout jeune Arturo Ripstein, fils du producteur mexicain Alfredo Ripstein, réalise Tiempo de morir (Un temps pour mourir), un premier film d’une grande maîtrise, empruntant les codes du western pour mieux les détourner. Le scénario, signé du romancier Gabriel Garcia Marquez, traite des thèmes classiques de la vengeance et de l’honneur mais de façon originale.
L’héritage dramatique du western classique
Avec une ouverture en clin d’œil au dernier plan de La Prisonnière du désert, Arturo Ripstein annonce la couleur : son film s’inscrira dans la lignée des grands films du genre. Juan, le personnage principal, vient de purger une peine de 18 ans de prison pour un meurtre dont il se dit innocent. Il revient dans son village où l’attendent de pied ferme les deux fils de la victime, bien décidés à venger l’honneur de leur père. Juan, apprécié autrefois pour son calme et sa grande maîtrise des chevaux, obtient le soutien des villageois et de Mariana, son ancien amour de jeunesse. Vengeance, honneur, filiation, tous les thèmes récurrents de la dramaturgie latine (on pense à Cent ans de solitude du même Garcia Marquez mais également aux pièces de Garcia Lorca) sont convoqués par l’écrivain colombien. Le film détonne donc par son classicisme mais tout autant par son originalité…
Des personnages atypiques
Et d’abord par des personnages singuliers. Arturo Ripstein va notamment soigner les personnages dits « secondaires ». Le shérif, le barbier, le droguiste ou encore le vieil ami alité mais à la gâchette toujours alerte sont autant de figures bien ciselées qui apportent au film ce supplément d’âme qui caractérise précisément les grands westerns. Là où Tiempo de morir se démarque aussi, c’est par les personnages féminins. Des femmes qui ne s’en laissent pas conter dans une société mexicaine bien connue pour son machisme. Ce sont elles qui, avec une certaine clairvoyance, tentent de contrecarrer le drame qui se profile en faisant fi des règles d’honneur dont les hommes semblent prisonniers. Ces rapports hommes-femmes atypiques trouvent leur meilleure illustration dans cette scène pleine de justesse où Juan qui a appris le tricot en prison en donne une leçon à sa bien-aimée. On est très loin de la virilité empesée du héros hollywoodien traditionnel.
Une réalisation inspirée
Mais le film étonne aussi par sa réalisation parfaitement maîtrisée. Il est très beau sur le plan esthétique avec ce noir et blanc épuré que l’on doit au grand chef opérateur Alex Philipps. Le rythme du film est également intéressant. Ripstein privilégie les temps longs qui participent de la tension dramatique. Sa caméra traîne dans les rues écrasées de soleil et délestées de leurs habitants. Elle s’aventure dans les cours intérieures et les maisonnées jusque dans l’intimité des personnages, saisissant leurs doutes, leur désarroi ou leurs obsessions. Le travail sur les cadres enfin est tout à fait passionnant, le cadrage cinématographique en lui-même auquel s’ajoutent ces nombreuses portes (symbole du seuil à franchir) et miroirs (opposant le passé au présent) que comptent les décors.
Un très beau film injustement méconnu.
8/10 <3
Critique à retrouver sur le MagduCiné