Le vent nous emportera, tour à tour mystérieux, magnifique et bouleversant fait partie des meilleurs films de Kiarostami. Il tient une place particulière dans la filmographie de ce grand cinéaste, après s'être fait connaître du grand public avec sa trilogie de Koker, Kiarostami réalise Le goût de la cerise (palme d'or 1997) puis se tourne vers des dispositifs numériques plus audacieux avec Ten. Le vent nous emportera se situe précisément avant ce changement de cap, entre Le goût de la cerise et Ten et constitue, en soit, un aboutissement. Comme souvent chez Kiarostami, ses premières scènes sont généralement les plus réussies. A cet égard, l'ouverture de Le vent nous emportera se présente curieusement à nous comme l'antithèse du film qu'il réalisera trois ans plus tard, Ten. En effet, dans les premières minutes, Kiarostami filme, comme il sait si bien le faire, une voiture qui sillonne des étroites routes de montagnes. Seulement, aucun plan ne montre l'intérieur du véhicule, la caméra se place dans le lointain, signifiant l'isolement des personnages. Cette idée n'est pas anodine puisque les compagnons du personnage principal, qui restent cloitrés dans leur chambre, ne nous seront jamais montrés, ainsi, il est amusant de noter que les plans qui composaient exclusivement Ten sont proscrits du début de ce film. Cette remarque anecdotique témoigne également de la capacité de renouvellement de Kiarostami.
A l'instar de tous les autres films du réalisateur, mais peut-être encore plus ici, le spectateur se pose beaucoup de questions durant toute la projection, questions auxquelles nous n'avons pas forcément de réponses, c'est ce qui fait aussi la force du long-métrage.
Les appels téléphoniques que reçoit Noghre Asadi, ponctuant le film, peuvent paraître redondants. Peu nous importe qui est au bout du fil, l'essentiel est de voir comment Kiarostami joue et maîtrise la répétition qui est l'un des grands sujets de son cinéma. Que ce soit grâce à son art du montage ou son sens du comique de répétition (ce protagoniste inlassablement obligé de prendre sa voiture pour aller dans les hauteurs afin d'avoir du réseau) ses scènes sont toujours accueillies avec enthousiasme. Pour illustrer cette volonté de jouer avec la répétition, motif présent dans toute l'oeuvre de Kiarostami du Concitoyen à Au travers des oliviers, c'est l'occasion d'évoquer deux films assez méconnus du grand public, visibles à la géniale exposition au Centre Pompidou: Où est l'ami Kiarostami ? (19 mai-26 juillet 2021). Le premier, "Take me home" est un film constitué uniquement de plans fixes ayant pour objet un ballon dévalant des escaliers, le second, Shirin, date de 2008 et se compose de plus de cent actrices iraniennes censées regarder le film de leur vie.
L'une des dernières scènes de Le vent nous emportera est tout bonnement bouleversante, le personnage principal, partant du village où il a séjourné durant toute l'intrigue, sort son appareil et photographie comme impulsivement un grand nombre de femmes. Comme si ce personnage, affecté d'avoir quitté si vite ce village, avait voulu immortaliser furtivement ses habitants. Pendant un court instant, un plan montre le même personnage, l'objectif pointé face à nous comme une sorte de dialogue direct avec le spectateur. Rarement scène kiarostamienne aura été si riche en intensité. Désarmant.