Les plans inauguraux du "Vent nous emportera" incarnent l'idée d’un corps mouvant, pénétrant dans un cadre immobile. De majestueux panoramiques balayent lentement ce paysage silencieux grandiose, digne des plus belles aquarelles. En provenance du néant, un véhicule déboule à pleine vitesse, sur de belles routes sinueuses ascendantes vers un lieu isolé de la civilisation. A son bord, de nombreuses voix d'hommes retentissent. Absurde situation, car ils se querellent sur le chemin à suivre, alors que celui-ci ne laisse apparaître que très peu de possibilités.
Au sommet d'une montagne, se trouve ce petit village iranien exigu, où les habitants s'entassent dans de minuscules propriétés très proches les unes des autres, comme si le vide devenait une barrière regroupant ces êtres dans un espace géographique étroitement délimité. Dans cette forteresse aux dédales de ruelles tranquilles, la sénérité laisse place à l'étonnement des riverains, qui ne comprennent vraiment pas pourquoi ce groupe d'étrangers arrivent maintenant dans cet endroit où le temps semble s'arrêter.
Que sont-ils venus faire là ?
Quelles sont leurs motivations ?
Quelles sont les raisons de leurs visites ?
Difficile à appréhender de part sa construction remplie se symboles, l'auteur ne prendra pas le temps de nous l'expliquer, ne prendra pas le temps de poser une situation initiale pour la compréhension du récit par le spectateur. Avec un rythme lent d'une énigmatique sensualité, c'est autant une invitation à la contemplation, qu'une invitation à se perdre dans les méandres d'un labyrinthe de réflexions théoriques. On remarque que le style de Kiarostami est surtout fondé sur une dynamique de retenue, car la grande majorité des protagonistes seront en hors-champ, pour laisser au spectateur le libre choix de les imaginer par lui-même, mais aussi pour ne pas brouiller l'aspect intellectuel par des éléments anodins.
De ce groupe d'étrangers, se détache un seul et unique personnage principal, qui sera également le seul montré à l'écran. En effet, il est visiblement accompagné d'associés anonymes discrets, dont nous entendrons seulement des ébauches conversations de temps à autre. Dès son arrivée, ce protagonistesera chaleuresement accueilli par un mignon petit garçon. Tout jeune et déjà la tête sur les épaules, il fera office d'un excellent guide pour explorer les environs. Au contact de ces gens simples et attachants, cet homme se remettra quelque peu en question, notamment sur le sens de la vie, puis éventuellement opérera malgré lui certaines prises de conscience et certains changements psychologiques.
Loin, très loin, dans ce long métrage, nous sera révélé le mystère pesant sur ces intrus. Il s'agit simplement de voyeurs, venus attendre le décès imminent d'une vieille dame malade, et d'ainsi assister, filmer et reporter, les cérémonies d'enterrements aux rituels étonnants. Cette mort tant attendue ne surviendra jamais, malgré l'attente insoutenable, sauf au plus mauvais moment, c'est-à-dire au moment de leurs départs. Bredouille et tout penaud, reste le protagoniste principal qui gratte conscieusement le sol, et découvre ensevelli dans le sable, un ossement humain, preuve d'une ancienne trace de Vie. Avec dédain, il jette l'objet dans la rivière. L'os évolue désormais au gré du courant, et l'oeuvre se termine brutalement.
N'aurait-il pas finalement saisi le sens de toute cette comédie, que l'on appelle la Vie ? Le Vent nous Emporte !
Ô curieux amateurs de cinémas d'auteurs exigeants, cette découverte pourra vous combler, à condition d'être impliqué.
PS : Je vous propose le lien direct vers ma critique plus succincte d'un autre film de Abbas Kiarostami, intitulé "Le Goût de Cerise".
http://www.senscritique.com/film/Le_Gout_de_la_cerise/critique/30609238