Je ne vais pas revenir sur le néoréalisme, ce mélange inouï de "pris sur le vif" et de travail artistique qui a donné des films incandescents, brûlant d'un sentiment d'urgence absolue face à la situation catastrophique d'un pays tout entier et de son peuple.
Je ne vais peut-être même pas faire de critique : ce film est tellement connu et a été tellement critiqué jusqu'à présent, il peut se passer de mon avis.
Je vais me contenter de dire deux ou trois petites choses qui m'ont frappé.
D'abord concernant la force émotionnelle du film. Le Voleur de bicyclette fait partie de ces œuvres qui ont le pouvoir de me transformer en serpillère. L'acteur principal, son regard, son jeu, le gamin qui est trimballé à travers une Rome labyrinthique à la recherche d'un improbable saint-Graal vélocipédique, et la musique d'Alessandro Cicognini, tout est fait manifestement pour bouleverser le spectateur. Et si on peut trouver parfois le trait un peu forcé, ça marche à fond avec moi.
De Sica parvient à créer une empathie totale avec Ricci, sans pour autant épargner le personnage.
La deuxième chose qui m'ait frappé, c'est la présence de la foule. Au point de dire que le personnage principal du film n'est pas tant Ricci lui-même que la foule qui hante les rues de Rome. Partout, elle est présente, inondant les rues et les trottoirs. Foule qui attend du travail, foule qui va puiser l'eau au puits, foule qui se presse dans une église à la promesse d'une soupe bien chaude et nourrissante, foule qui attend de monter dans des transports en commun bondés...
Peut-être faudrait-il alors (hypothèse sûrement exagérée de ma part) comparer ce film au non-moins fameux Cuirassée Potemkine, film qui se voulait sans individualité mais montrant une foule et un peuple qui se rebellent. Ici, nous avons un film sur l'Italie et les Italiens. Les Italiens avec leur façon de parler, toujours si véhémente qu'on a l'impression qu'ils s'agressent simplement pour se dire bonjour. D'ailleurs, tout est agression ici, si l'on prend le point de vue de Ricci (quel nom ironique !). Les "autres", monstre sans visage, constituent une menace permanente, une agression sans cesse répétée. Le pluriel du mot "ladri", dans le titre original, donne une image assez claire de l'aspect collectif du film. L'anonymat du voleur et sa disparition, la foule qui empêche de faire progresser l'enquête de Ricci (voir la scène de l'église), tout contribue à donner de la foule une image dangereuse.
Mais De Sica ne condamne pas ce peuple. Après tout, si cette foule en est réduite à se menacer mutuellement, n'est-ce pas suite à la situation catastrophique dans laquelle elle se trouve ? Le choix des sites de tournage dans des lieux quasiment inhumains et froids, le chômage, la faim, la pauvreté, voilà plus qu'il n'en faut pur faire d'une foule un monstre menaçant.
Et puis, il y a aussi des aspects plus anecdotiques mais qui complètent le tableau. La superstition de la foule qui se presse chez la voyante en dit long également.
En bref, un film très émouvant, dont la simplicité apparente renforce encore le côté dramatique.