Le scandale suscité par la projection au Festival de Berlin témoigne d’une incompréhension à l’égard de la démarche esthétique d’un cinéaste qui n’en était pourtant pas à son coup d’essai : Herzog ne se complaît aucunement dans la misère mais compose un long poème où le profane du documentariste rencontre le sacré des textes, de la musique et des images captées pour l’essentiel depuis une hauteur démiurgique. Ce que représente Lektionen in Finsternis est la lutte intestine entre les puissances à l’œuvre dans la nature et, par conséquent, dans l’homme : l’eau devient pétrole, la fumée s’enflamme, l’individu s’éprouve au contact d’un chaos au sein duquel il trouve un sens à ses actions et à son existence. La façon qu’a la caméra d’arpenter les étendues désolées se heurte aux portraits brossés de témoins qui, comme dans la Bible, ont perdu l’usage de leur sens, en l’occurrence ici la parole. La narration, réduite à quelques phrases, et le chapitrage en actes offrent un livre de l’Apocalypse réactualisé qui rompt avec les repères spatio-temporels en les présentant sommairement dans les premières minutes pour ensuite sillonner un no man’s land au cœur de l’humanité. « Et Dieu essuiera toutes les larmes de leurs yeux, et la mort ne sera plus ; et il n’y aura plus ni deuil, ni cri, ni travail ; car les premières choses sont passées » (Apocalypse, 21 :4). Un chef-d’œuvre sur la folie humaine et sa répercussion dans l’environnement.