Avec Legend, Ridley Scott réécrit la Genèse qu’il mêle aux merveilles du Moyen Âge : la mythologie qu’il met en place procède par fusion d’influences et de références, somme des récits fondateurs des cultures et des cultes. Ce faisant, il redistribue la Faute entre les deux amants : Jack pèche par orgueil et curiosité excessive, là où Lili transgresse une loi divine en s’approchant d’un animal sacré et en le touchant du doigt.
Pourtant, si le Mal s’incarne en un personnage, Darkness, le Bien ne bénéficie d’aucune figure tutélaire : « Dieu » est évoqué, mais n’est pas nommé. Les licornes sont des êtres de pureté et émanent d’une entité supérieure créatrice dont l’identité demeure cachée. Le couple principal louvoie entre ces deux pôles, la femme subissant la tentation du « maître des ténèbres » qui, lui, est un corps concret, physique, que l’on peut voir et toucher. La dualité entre le corps et l’âme se rejoue ainsi sur le plan de la représentation : le dieu du Bien reste invisible là où le Diable se montre et, pire encore, déploie des stratégies de séduction pour corrompre Lili. D’ailleurs, l’amour que ressentent les deux amants demeure platonique, sans jamais se teinter d’érotisme ou de chair : le don de la bague constitue le seul trophée dont peut se parer le champion – dans la director’s cut de 2002 –, en conformité avec l’esprit courtois médiéval et avec l’univers bucolique.
Les motivations des antagonistes ainsi que le manichéisme à l’œuvre pour les caractériser raccordent Legend au combat primitif du Bien contre le Mal, du meurtre de l’astre soleil par la nuit qui le dévore. À l’instar de The NeverEnding Story (Wolfgang Petersen, 1984), Ridley Scott affirme ainsi la nécessité de la fiction pour habiter le monde en être humain, pour jeter un voile sur le Néant à l’origine de toute chose afin d’irradier l’homme saisi dans sa pureté première : « aimer et rire », comme le dit Jack à propos des licornes. Un homme en harmonie avec la nature et qui trouve dans sa quête contre le démon l’occasion de combattre sa propre nature pécheresse.
Le cinéaste ne se fait cependant pas la dupe de la niaiserie certaine de son propos, séparant à terme les deux amants pour mieux les engager dans une éternelle réitération de leur combat contre un appétit sexuel qu’ils ne sauraient vaincre. « Nous sommes tous des bêtes vouées au Mal », hurle Darkness. Les décors en studio, les masques et les costumes, aussi magnifiques et envoûtants puissent-ils être, ne sauraient résoudre le conflit intérieur d’un être tiraillé entre la mortalité de sa chair et l’immortalité prétendue de son âme.