Il n'est finalement pas étonnant que Tarantino ait demandé aux salles qui souhaitent diffuser son dernier film en avant-première des conditions que ses détracteurs pourraient considérer comme gadgets, ou accessoires, propres aux délires parfois un peu vain de son réalisateur: une projection en 70mm ultra panavision (avec son ratio si particulier de 2.76:1, non utilisé depuis 1966), une "overture" et un entracte (et 8 minutes en plus qu'il me faudra repérer).
Pourtant, c'est exactement tout le contraire dont il s'agit ici. Tarantino semble enfin parvenu à une forme de quintessence de son travail, et en produisant ce qui pourra sans nul doute être considéré comme un classique de son œuvre, la forme technique utilisée confère au film un statut de classique du cinéma tout court.


Un bon film, au fond, c'est toujours très simple. Il suffit de réunir quelques bons (ou grands) acteurs dans un lieu restreint et de leur demander de donner corps à de bons (ou grands) dialogues, grâce auxquels vous instillerez une tension permanente, mâtinée d'humour et de moments d'explosions de violence dont on n'oubliera jamais le caractère ludique et jouissif.


A moins que cette simplicité ne soit très compliquée, finalement.



"je te propose d'instaurer entre nous un code de communication non verbale: quand je te mettrai un grand coup de coude dans la gueule, ça signifiera: "ta gueule""



Après deux ou trois premiers films faisant preuve d'un talent assez foudroyant, Quentin s'était, depuis, plus ou moins perdu dans des tentatives presque à chaque fois polluées par son obsession de l'hommage, de la citation ou du pastiche. Le virage salutaire engagé avec Django (ou au moins sa première heure) trouve donc ici une confirmation éclatante. Le réalisateur semble avoir enfin digéré ses influences et se montre apte à régurgiter un film à l'autonomie et à la cohérence propres, augmenté par le talent naturel de son auteur. L'intuition géniale des débuts a donc fait place à une maturité aussi galvanisante que désormais pleine de promesses.


Depuis un peu plus d'un siècle que cet art existe, nous nous sommes habitués à garder des films les plus marquants des scènes fortes, des moments clefs, dont nous avons parfois oublié que leur beauté émanait d'une forme parfaite cristallisant un fond habité. Le cinéma contemporain s'est trop souvent englué dans des tentatives un peu vaines de retrouver ce genre de grands moments, et une majorité de réalisateurs (dont Tarantino a d'ailleurs fait partie) a cherché a fabriquer et retrouver laborieusement ce type de scènes, en oubliant qu'un instant inoubliable est forcément pour partie le résultat d'accidents.
La poésie réelle est rarement le fruit d'alexandrins appliqués.
Une scène illustre parfaitement la petite perfection à laquelle est parvenu ici Tarantino. Quand Daisy (Jennifer Jason Leigh) se saisit de la guitare pour entamer une complainte à double sens à peine camouflé, l'instant est en permanence parasité par les occupants de la mercerie -porte clouée, café versé, chaise tirée, jusqu'à l'interprète qui se reprend à plusieurs fois pour finir son morceau- et la mise au point, qui ne cesse d'aller et venir sur les uns et les autres, marque ces fausses hésitations pour mieux faire surgir quelques secondes de réelle beauté, volées dans le chaos ambiant.
(...Mais Daisy dérata)


Comme l'a fort bien relevé King Rabbit, on pourra bien sûr reprocher au film sa vision nihiliste peignant une humanité dépravée rongée par des tares malheureusement trop répandues et familières: racisme, sexisme et autre haine banalement irrationnelles. Mais ce genre de remarque pourra être facilement balayé par deux arguments simples: les 8 salopards, que la tempête confine dans cette cabane, sont (presque) tous là pour une raison précise et ne sauraient en aucun cas représenter de près ou de loin un échantillon représentatif de l'espèce humaine en général.
Surtout, flotte sur ce récit l'esprit d'un film de genre (même si ce dernier est multiple: western, huis-clos, whodunit…) dont le plaisir tient dans sa simplicité: qui est qui ? Qui veut quoi ? Qui sera le dernier debout ? Ou plutôt, rapidement : qui gardera le dernier les yeux ouverts ?


Dernier bonheur de cette séance atypique et trompeusement artificielle, l'entracte, survenu au moment où le film bascule, permettait à chacun de découvrir ce à quoi pouvait ressembler les expériences de cinéma d'autrefois: chacun pouvait faire un point sur ce qu'il avait vu et se perdait en conjectures sur ce que la suite allait réserver. Une autre idée simple à l'image de la réussite globale du projet.
Si la maturité affichée ici devient la base habituelle du travail à venir, la suite de la carrière de Tarantino s'annonce absolument passionnante et installe définitivement, après de sérieux doutes, l'auteur de ce Hateful Eight flamboyant parmi les types essentiels de sa génération.

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le 31 déc. 2015

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guyness

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