Peckinpah Hardcore
Le film va diviser... Encore plus que d'habitude pour du Tarantino, mais sur le plan moral essentiellement, là où les précédents Tarantino décevaient également sur la forme, avec des films...
Par
le 25 déc. 2015
261 j'aime
26
Il n'est finalement pas étonnant que Tarantino ait demandé aux salles qui souhaitent diffuser son dernier film en avant-première des conditions que ses détracteurs pourraient considérer comme gadgets, ou accessoires, propres aux délires parfois un peu vain de son réalisateur: une projection en 70mm ultra panavision (avec son ratio si particulier de 2.76:1, non utilisé depuis 1966), une "overture" et un entracte (et 8 minutes en plus qu'il me faudra repérer).
Pourtant, c'est exactement tout le contraire dont il s'agit ici. Tarantino semble enfin parvenu à une forme de quintessence de son travail, et en produisant ce qui pourra sans nul doute être considéré comme un classique de son œuvre, la forme technique utilisée confère au film un statut de classique du cinéma tout court.
Un bon film, au fond, c'est toujours très simple. Il suffit de réunir quelques bons (ou grands) acteurs dans un lieu restreint et de leur demander de donner corps à de bons (ou grands) dialogues, grâce auxquels vous instillerez une tension permanente, mâtinée d'humour et de moments d'explosions de violence dont on n'oubliera jamais le caractère ludique et jouissif.
A moins que cette simplicité ne soit très compliquée, finalement.
"je te propose d'instaurer entre nous un code de communication non verbale: quand je te mettrai un grand coup de coude dans la gueule, ça signifiera: "ta gueule""
Après deux ou trois premiers films faisant preuve d'un talent assez foudroyant, Quentin s'était, depuis, plus ou moins perdu dans des tentatives presque à chaque fois polluées par son obsession de l'hommage, de la citation ou du pastiche. Le virage salutaire engagé avec Django (ou au moins sa première heure) trouve donc ici une confirmation éclatante. Le réalisateur semble avoir enfin digéré ses influences et se montre apte à régurgiter un film à l'autonomie et à la cohérence propres, augmenté par le talent naturel de son auteur. L'intuition géniale des débuts a donc fait place à une maturité aussi galvanisante que désormais pleine de promesses.
Depuis un peu plus d'un siècle que cet art existe, nous nous sommes habitués à garder des films les plus marquants des scènes fortes, des moments clefs, dont nous avons parfois oublié que leur beauté émanait d'une forme parfaite cristallisant un fond habité. Le cinéma contemporain s'est trop souvent englué dans des tentatives un peu vaines de retrouver ce genre de grands moments, et une majorité de réalisateurs (dont Tarantino a d'ailleurs fait partie) a cherché a fabriquer et retrouver laborieusement ce type de scènes, en oubliant qu'un instant inoubliable est forcément pour partie le résultat d'accidents.
La poésie réelle est rarement le fruit d'alexandrins appliqués.
Une scène illustre parfaitement la petite perfection à laquelle est parvenu ici Tarantino. Quand Daisy (Jennifer Jason Leigh) se saisit de la guitare pour entamer une complainte à double sens à peine camouflé, l'instant est en permanence parasité par les occupants de la mercerie -porte clouée, café versé, chaise tirée, jusqu'à l'interprète qui se reprend à plusieurs fois pour finir son morceau- et la mise au point, qui ne cesse d'aller et venir sur les uns et les autres, marque ces fausses hésitations pour mieux faire surgir quelques secondes de réelle beauté, volées dans le chaos ambiant.
(...Mais Daisy dérata)
Comme l'a fort bien relevé King Rabbit, on pourra bien sûr reprocher au film sa vision nihiliste peignant une humanité dépravée rongée par des tares malheureusement trop répandues et familières: racisme, sexisme et autre haine banalement irrationnelles. Mais ce genre de remarque pourra être facilement balayé par deux arguments simples: les 8 salopards, que la tempête confine dans cette cabane, sont (presque) tous là pour une raison précise et ne sauraient en aucun cas représenter de près ou de loin un échantillon représentatif de l'espèce humaine en général.
Surtout, flotte sur ce récit l'esprit d'un film de genre (même si ce dernier est multiple: western, huis-clos, whodunit…) dont le plaisir tient dans sa simplicité: qui est qui ? Qui veut quoi ? Qui sera le dernier debout ? Ou plutôt, rapidement : qui gardera le dernier les yeux ouverts ?
Dernier bonheur de cette séance atypique et trompeusement artificielle, l'entracte, survenu au moment où le film bascule, permettait à chacun de découvrir ce à quoi pouvait ressembler les expériences de cinéma d'autrefois: chacun pouvait faire un point sur ce qu'il avait vu et se perdait en conjectures sur ce que la suite allait réserver. Une autre idée simple à l'image de la réussite globale du projet.
Si la maturité affichée ici devient la base habituelle du travail à venir, la suite de la carrière de Tarantino s'annonce absolument passionnante et installe définitivement, après de sérieux doutes, l'auteur de ce Hateful Eight flamboyant parmi les types essentiels de sa génération.
Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Un bon huis-clos, c'est pas pour les claustros !, "All you need for a movie is a gun and a girl" Jean-Luc Godard, Le western pas terne, le far-ouest super chouette, Un enfant de perdu, dix idées de scénar trouvées et Vendeur de DVD: un florilège
Créée
le 31 déc. 2015
Critique lue 12.8K fois
318 j'aime
43 commentaires
D'autres avis sur Les 8 Salopards
Le film va diviser... Encore plus que d'habitude pour du Tarantino, mais sur le plan moral essentiellement, là où les précédents Tarantino décevaient également sur la forme, avec des films...
Par
le 25 déc. 2015
261 j'aime
26
On pourrait gloser des heures sur chaque nouvel opus de Tarantino, attendu comme le messie par les uns, avec les crocs par les autres. On pourrait aussi simplement dire qu’il fait des bons films, et...
le 9 janv. 2016
206 j'aime
31
Crucifiée, les yeux tournés vers une terre enneigée, une statue christique enclavée au sol observe de loin cette Amérique qui subit les cicatrisations cathartiques du clivage des contrées du Nord...
Par
le 6 janv. 2016
144 j'aime
20
Du même critique
Tarantino est un cinéphile énigmatique. Considéré pour son amour du cinéma bis (ou de genre), le garçon se révèle être, au détours d'interviews dignes de ce nom, un véritable boulimique de tous les...
Par
le 17 janv. 2013
344 j'aime
51
Il n'est finalement pas étonnant que Tarantino ait demandé aux salles qui souhaitent diffuser son dernier film en avant-première des conditions que ses détracteurs pourraient considérer comme...
Par
le 31 déc. 2015
318 j'aime
43
Christopher navigue un peu seul, loin au-dessus d’une marée basse qui, en se retirant, laisse la grise grève exposer les carcasses de vieux crabes comme Michael Bay ou les étoiles de mers mortes de...
Par
le 12 nov. 2014
299 j'aime
141