Je t'aime, moi non plus

Grand réalisateur français de renom depuis la fin des années 60, André Téchiné a réalisé 30 longs métrages, alternant récits romanesques et histoires plus intimistes, souvent d'inspiration autobiographique, n'hésitant à aborder les faits marquants que la société traverse, comme l'homosexualité, le divorce, l'adultère, la prostitution et la délinquance.

Trente ans après Ma saison préférée, André Téchiné revient, dans ce tout dernier opus, à la relation très forte entre un frère et sa sœur, et explore les conséquences sur la vie, d'une amnésie post-traumatique de guerre. [Thème repris aussi dans le film C'est mon homme de Guillaume Bureau sorti ce même mois].

Après l'accident subi par David au Mali (joué par un excellent et sensible Benjamin Voisin, vu dans Été 85), qui lui fait perdre la mémoire, et plusieurs mois à l'hôpital, c'est sa sœur Jeanne (un rôle sur mesure pour la brillante Noémie Merlant vue notamment dans Les Olympiades, L'Innocent et TAR,) qui va s'occuper de lui dans leur Ariège natale, pour une longue convalescence sur plusieurs saisons, ce qui nous offre de très beaux paysages pyrénéens.

Ils vont ainsi apprendre à se (re)découvrir par des scènes intimes très intenses, et par touches successives, des regards et des non dits très bien filmés; l'évolution de leur relation complexe, affectueuse et quasi amoureuse, va nous montrer combien il est difficile de renouer avec un passé bien révolu après un tel traumatisme, d'autant que David n'est pas pressé de se retrouver avec l'homme qu'il était avant, et que Jeanne n'est pas prête à commettre les mêmes erreurs que jadis. De peurs en quiproquos, leurs liens vont se distendre, ce qui va les éloigner un temps l'un de l'autre; la fin ouverte du film peut laisser l'espoir d'une relation enfin apaisée, le réalisateur nous laisse en juger.

C'est bien l'exploration de la dépendance entre Jeanne et David le meilleur de ce film d'André Téchiné; car ce qui gravite autour, partiellement abouti, empêche à mon sens d'en faire un très bon film !

En effet, l'hôtel désaffecté, au bord d'un lac, où vit Jeanne, car sa mère y a travaillé du temps de sa splendeur, propriété de Marcel, un célibataire dépressif qui s'habille en femme sans qu'on sache pourquoi (incarné par André Marcon, à l'aise dans ce rôle pourtant ingrat), introduit une noirceur anxiogène et un sentiment de solitude pour Jeanne et David qui met mal à l'aise et impacte négativement leur relation.

La vente de son domaine, souhaité par Marcel, est pris en charge par Rachel, la maire rigoureuse et dynamique de la localité (jouée avec adresse et enthousiasme par une Audrey Dana qui socialise en créant les liens indispensables dans cette commune de montagne); cette vente auprès d'investisseurs dans le domaine du loisir ne manque pas d'avoir des détracteurs; sujet de réflexion en soi sur la nature et le développement durable, ce thème est loin du cœur film et n'est pas abouti.

De même la question de l'inceste, objet d'un lourd secret dans le film, est évacuée dans un échange rapide entre David et Rachel, par ailleurs médecin, alors qu'il aurait mérité un vrai approfondissement.

Ainsi ce film est-il assez loin d'un "Téchiné grand cru", même si le tandem Noémie Merlant - Benjamin Voisin, par leur présence et leur intensité sauve le film avec leur relation intime très bien mise en scène.