Les films muets peuvent souvent paraître assez rébarbatifs à une grande partie du public d’aujourd’hui. De fait, exceptés les films burlesques – notamment ceux de Chaplin -, qui se passent plus facilement de son, car basés sur des gags très visuels, la plupart des films muets sont aujourd’hui totalement oubliés. Dépourvus de sons, ces films doivent tout faire passer par l’image : des expressions faciales, des bruits et une histoire réduite en explications. Afin que l’histoire soit compréhensible, des cartons reproduisant certains dialogues ou donnant des explications indispensables à la compréhension, sont insérés. Comme ceux-ci ne doivent pas trop alourdir l’oeuvre, l’image se doit d’être la plus explicite possible. Les expressions des personnages sont alors exacerbées, les scènes longuement filmées pour imprégner le spectateur. Tout ceci nécessite d’être compris et accepté afin que le public d’aujourd’hui puisse être accroché. Les araignées est le premier grand film de Fritz Lang, présenté sous la forme d’un diptyque, comme le sera plus tard Le tigre du Bengale, suivi du Tombeau hindou. Les deux précédentes œuvres du réalisateur, tournées en la même année, La métisse et Le maître de l’amour, sont considérées comme perdues.
Episode 1 : Le lac d’or
Le prologue montre un vieil homme épuisé aux vêtements en haillons, jetant une bouteille à la mer du haut d’une falaise, avant d’être abattu d’une flèche par un indien. Durant une course de yachts, le riche aventurier américain Kay Hoog, trouve le message et le montre à ses amis lors d’un banquet. Le message indique la localisation d’un trésor inca et notre aventurier décide de se lancer sur les traces de l’explorateur perdu et de sa mystérieuse quête au trésor au Pérou. Cependant, parmi les convives, se trouve une mystérieuse jeune femme, Lio Sha – aux origines indéterminées – qui se révèle être le chef d’une organisation criminelle, Les araignées. ces bandits vont à leur tour courir après le trésor et après notre héros.
A mi-chemin entre un Tintin et un Philéas Fogg, Kay Hoog part donc à l’aventure ; il se fait attaquer par des bandits, s’enfuit à cheval puis en ballon et après diverses péripéties finit par arriver au Temple du soleil, ou du moins chez les incas. Le tout se déroule à un rythme très soutenu, peut-être même un peu précipité et échevelé.
Episode 2 : Le cargo aux diamants
Après Tintin au temple du soleil, nous voilà au Lotus bleu. Kay est à la poursuite de Lio Sha qui a fait assassiner sa bien-aimée. Une grande partie de l’histoire se situera à Chinatown. L’ensemble se révèle beaucoup moins passionnant que la première partie, et souffre parfois de certaines longueurs et confusions, notamment lors des conciliabules de la société secrète. Il semble aussi manquer quelques morceaux car on assiste à des raccourcis saisissants. L’épisode se suit cependant avec intérêt et réserve son lot d’aventures.
Côté distribution, on découvre, dans le rôle de Kay, l’acteur allemand Carl de Vogt, bel homme au visage sévère, qui avait déjà joué dans les deux premiers films perdus de Fritz Lang ; il tournera dans une quarantaine de films muets puis passera aux seconds rôles dans une petite dizaine de films jusqu’au milieu des années 50.
L’autrichienne Ressel Orla – Lio Sha - qui avait elle aussi déjà participé au premier film de Lang, apparaitra dans une soixantaine de films jusqu’en 1929, avant de disparaitre à l’âge de 42 ans à peine.
On notera enfin, dans le court rôle de Neola, la prêtresse du soleil de la partie 1, l’actrice Lili Dangover, qui traversera, quant à elle 60 ans du cinéma allemand, notamment les films de la période allemande de Fritz Lang, comme Le cabinet du Dr Caligari, Les trois lumières et Le Docteur Mabuse. Sa dernière apparition sera dans Légende de la forêt viennoise de Maximilien Schell en 1979.
Les Araignées, sans avoir la splendeur du Tigre du Bengale et du Tombeau hindou, se suit avec intérêt et peut être recommandé à ceux qui veulent découvrir le cinéma muet. Il est certainement le précurseur de nombreux films d’aventures qui sauront en prélever les ingrédients indispensables – poursuites, enlèvements, expédition dans une cité perdue, histoire d’amour et de rivalité -, tout en en gommant les imperfections. Précisons enfin que le film est tiré de l’unique roman de Fritz Lang , paru sous forme de feuilleton à Berlin, en 1919. C’est aussi sous la forme de plusieurs épisodes que l’adaptation a été conçue. Seuls les deux premiers volets – sur les quatre prévus – seront tournés, ce qui explique certainement la fin assez abrupte du film.