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Deux films ont suffi à Alejandro Amenábar pour se faire remarquer à l’international : le tendu Tesis, et le conceptuel Abre los Ojos. Cette renommée ainsi créée a attiré l’attention d’un certain Tom Cruise, producteur sur le film qui nous intéresse aujourd’hui, (et de Vanilla Sky sorti la même année, remake américain du second film du réal) et alors compagnon à la ville de Nicole Kidman. Exit donc l’espagnol, et bonjour le Jersey anglo-normand de 1945.


L’occasion pour le cinéaste de s’attaquer à une horreur gothique, profitant du climat océanique brumeux de l’île pour créer un manoir emprisonné dans le trouble, que même la lumière ne parvient à pénétrer. Un choix pas anodin puisque tout le film tourne autour de cette opposition entre l’ombre et la lumière. Grace (Kidman) vit recluse dans ce grand manoir avec ses deux enfants, tous deux atteints de xeroderma pigmentosum (ou maladie des enfants de la Lune), une condition terriblement débilitante qui rend létal le contact à une lumière trop vive. On survit donc calfeutré dans le noir, rideaux fermés en permanence, on ferme les portes à clé pour empêcher que les pauvres gamins ne rentrent dans une pièce non préparée, et on ne peut quitter les murs de la demeure sous peine de laisser les enfants sans surveillance. Se crée ainsi une prison de cette maison, elle-même enfermée dans le brouillard et contenue sur une île. Difficile d’imaginer un endroit plus propice à la folie, sauf en implémentant une crainte de l’extérieur décuplée par la récente occupation nazie.


Le décor, naturellement anxiogène, est posé. Alors quand vient s’ajouter une menace intérieure par le biais du fantastique et de la maison hantée, on peut comprendre la bascule paranoïaque qui s’opère dans la psyché déjà fragile de Grace. Une figure déjà fantomatique par essence, sa peau d'albâtre contrastant avec les ténèbres des lieux, dans la flamme vacillante d’une bougie. Une touche de blanc dans un océan de noir, mais qui contrairement à l’iconographie habituelle n’apporte aucun réconfort. La lumière est l’ennemi. Qu’elle soit celle d’une femme de plus en plus instable qui effraie ses enfants, celle supposée par l’éducation religieuse stricte et punitive qu’elle inculque à ses enfants, et celle d’un soleil fatal. De la photophobie à tous les étages. Un choix qui permet à Amenábar de dévoiler un talent inouï pour filmer les ombres, épaulé d’un chef opérateur en maîtrise totale de ses images.


Rebattre les cartes de ce que l’on doit craindre et de ce qui doit nous réconforter passent par les questionnements moraux qui jalonnent tout le film. “How do you tell the goodies from the baddies?” demande le petit Nicholas. Ce qui semblait certain sous le joug de l’Axe perd tout son sens dans cet environnement. La Bible est remise en question dans ses enseignements, tant ceux-ci sont en contradiction avec ce que la famille observe. Bien évidemment, ce renversement des symboles n’est pas là par hasard.

La révélation finale du film rend le tout logique. Grace est bien un spectre, la maison est effectivement hantée, mais par les protagonistes, et les verrous lumineux du vivant doivent sauter pour que la paix soit retrouvée. Les enfants morts ne craignent plus la lumière, ils peuvent désormais s’y baigner. La folie de Grace précède le fantastique, et dans son acte meurtrier malheureux, elle permet paradoxalement à sa famille d’être libérée, et d’atteindre l’état suggéré par son nom. Ce twist scénaristique, je le connaissais déjà, ayant vu Les Autres à sa sortie. Il est toujours intéressant de voir si un film peut supporter un second visionnage une fois le retournement de situation éventé. Là où M. Night Shyamalan ne réussit que rarement, Amenábar triomphe. Les nombreux indices qui parsèment le film renforcent d’autant plus l’intérêt du film lorsqu'on en connaît le dénouement. Rien n’est laissé au hasard, tout s’emboîte parfaitement.


Les Autres s’approprie un genre usé jusqu’à la corde et propose du neuf avec du vieux. L’image y est délicate et pittoresque, tandis que le personnage de Nicole Kidman est incarné à la perfection, nous faisant passer du dédain à une profonde empathie en un tour de clé. Une œuvre à la beauté sépulcrale qui laisse poindre une lumière que l’on craignait jusqu’alors.


Créée

le 21 mai 2024

Critique lue 14 fois

Frakkazak

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