Les yeux au ciel
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Dix ans après l’expérience d’Alain Resnais sur On connaît la chanson, Christophe Honoré plonge à son tour le cinéma français dans une nouvelle variation de la comédie musicale. À la différence de son prédécesseur, les chansons en question sont originales, et interprétées par les comédiens : elles ont donc un lien direct avec l’intrigue et s’intègrent parfaitement à la trame qui suit l’itinéraire d’un deuil et la reconstruction sentimentalement chaotique qu’il génère.
Il faut s’armer d’une certaine tolérance pour s’immerger dans l’univers construit par Honoré et son interprète principal Louis Garrel, très fortement sous influence de la Nouvelle Vague et de son incontournable cortège de petites choses irritantes : parisianisme pseudo bohème, cabotinages pour montrer que la vie est un jeu, *name dropping c*ulturel avec un bouquin par séquence, le panorama est presque exhaustif.
Mais cette approche dilettante et presque arrogante ne dure qu’un temps, celui de l’insouciance, où le ménage à trois peut encore occasionner des chansons qui lorgnent du côté de Demy, transformant la rue en un terrain de conquête. Certes, le langage est plus cru, mais la vigueur de la jeunesse est la même, apparemment invincible à ce qui touche le commun des mortels. Il faudra donc rappeler dans la violence cette vulnérabilité pour lancer véritablement le parcours d’Ismaël.
Le détachement très étudié du personnage se poursuivra donc (voir les scènes où il rend visite à la famille endeuillée, qu’il inonde paradoxalement de sa « drôlerie »), mais avec une lucidité plus nette sur son travail d’équilibriste. Entre le gouffre de la douleur et les cimes illusoires du plaisir à corps perdu, Ismaël laisse la vie advenir, couche, découche, devise et pérore, en héritier un peu cabossé de l’Alexandre de La Maman et la Putain. Cette construction acharnée de la légèreté spontanée épouse parfaitement le canevas de la comédie musicale, les chansons d’Alex Beaupain éclatant par leur densité pop et un lyrisme de l’instantanéité.
Mais il faudra bien entendu prendre en compte les aspérités vives de leurs paroles pour bien cerner le personnage, qui côtoie régulièrement les abîmes. Le personnage de la sœur de la morte, joué par Chiara Mastroianni, figure bien cet autre témoin du parcours du jeune veuf : « Je trouve que ta manière est violente », lui dit-elle. Les textes chantés s’interrogent ainsi sur cette fuite en avant qu’est la fusion des corps, la saveur abrasive des plaisirs éphémères qui retardent le retour du sentiment, et font vibrer ce qui nous reste du présent.
La course par sauts et gambades n’a de richesse que dans l’écheveau qu’elle tisse pour mêler les élans vitaux au spleen le plus opaque. Et les chansons ne sont jamais aussi belles que lorsqu’elles transforment en mélodie chavirées ce qui aurait dû pousser à la prostration. Cette dualité fait toute la beauté d’un parcours en pleine nuit se dirigeant vers deux phares : celui d’un regard enfin braqué sur une tombe, et d’une oreille peut-être tendue vers l’autre qui murmure insolemment la vie.
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le 14 mars 2021
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