État de piège
Quel que soit le sujet qu’il aborde, Peckinpah n’a eu de cesse d’illustrer ce que l’individu peut avoir de plus mauvais : en décapant le glamour des amants criminels dans Guet-Apens, des héros du...
le 22 mars 2017
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Quel que soit le sujet qu’il aborde, Peckinpah n’a eu de cesse d’illustrer ce que l’individu peut avoir de plus mauvais : en décapant le glamour des amants criminels dans Guet-Apens, des héros du western dans Alfredo Garcia ou La Horde Sauvage, des soldats dans Croix de Fer, le constat ne change que rarement (dans l’humanité, peut-être, d’un Cable Hogue ou du vieillissant Pat Garrett ?) : l’homme est mu par des instincts qui le pousse à souiller ce que des siècles de civilisation tentent laborieusement d’ériger.
Sur ce registre, Les Chiens de Paille est une expérience limite : parce qu’elle met à l’épreuve la figure d’un intellectuel qui pourrait se prétendre humaniste, en le confrontant à une bourgade de rustres bien décidés à l’essorer jusqu’à ce que la violence contenue en lui explose au point d’éclabousser les murs. Le portrait des autochtones est d’une brutalité inouïe, assez proche de la façon dont Boorman dépeignait les hommes les plus primaires dans Delivrance (et pour lequel Peckinpah fut pressenti) : leurs regards, leurs rires, leurs sous-entendus suintent le mal et l’envie infantile d’en découdre. Dans les bars, à l’œuvre sur la toiture du protagoniste Dustin Hoffmann, ils instaurent un malaise insupportable et un bourbier duquel le citadin ne pourra pas sortir.
Peckinpah, avec un sadisme qui pose question, ménage tout l’espace en vue d’un encerclement : par la présence permanente des hommes de main, par celle aussi du voyeurisme, qui voit le couple épié en permanence, et enfin par les échecs de leur intégration, permettant de donner aussi une part des torts au progressiste qui n’hésite pas à provoquer le curé local.
La figure la plus insidieuse réside dans sa compagne : fille du pays revenue avec son compagnon américain, elle joue sur les deux tableaux : celui de l’ascension sociale auprès du village, celui de la fille du cru pour son mari, qu’elle provoque délibérément sur sa virilité et sa couardise face aux gaillards qui le harcèlent. Aux jeux du couple, insolites et spontanés (qui font beaucoup penser à ceux qui ouvrent le Cul de Sac de Polanski) succède une attitude de défiance qui va attiser la mécanique du pire.
Car c’est là le point névralgique – et problématique du récit : cette scène de viol, qui par ailleurs n’aura pas d’incidence sur le comportement du mari, puisque celui-ci n’en prendra pas connaissance. Mais le rôle donné à la femme, délibérément provocatrice, allumeuse, résistant puis se livrant avant que l’affaire ne tourne au cauchemar, pose question quant à la thèse que semble défendre Peckinpah. Le second rôle qu’il accorde à la plus jeune fille encore, qui finira étranglée par l’idiot du village, sorte de réécriture du Lennie des Souris et des Hommes, va dans le même sens : les femmes, avant d’être les victimes, sont les complices, voire les instigatrices des élans primitifs qui les détruisent.
Peut-être le réalisateur y voit-il une occasion de n’épargner personne sous la noirceur de son regard, de la même façon qu’il fait de David un être aussi sauvage que les autres, pour finir. Mais la généralisation est dérangeante, et contribue à faire de ce récit un piège un peu trop redoutable, une tragédie un peu trop accentuée. À l’image de cette gigantesque mâchoire de métal qu’est le piège posé au mur au départ, et dont on sait pertinemment qu'il finira par servir, Peckinpah met en place un conte noir qui ne peut pas vraiment prétendre à une vision lucide ou éclairée sur la part animale de tout être humain.
L’ultra violence semble toujours nécessiter un certain folklore : c’est déjà le cas avec le mélomane Orange Mécanique, sorti la même année : ici, c’est le recours aux ralentis et aux cuts qui esthétisent la violence : principes qui sont rarement heureux. Ralentir une fusillade et la chorégraphie des assaillants peut avoir du sens. Pour un viol, difficile de ne pas y voir de complaisance sadique.
Le final peut, d’une certaine façon, remettre certaines pendules à l’heure : on est évidemment loin de l’apologie de l’auto-défense, et plutôt face à un constat d’échec face aux prétentions que pourrait avoir l’homme moderne à prôner la non-violence.
Son film est efficace, prenant, bien joué, cauchemardesque à souhait. Mais ce regard mauvais des jeunes poivrots lubriques reste bien imprégné sur la caméra de Peckinpah, somme toute assez satisfait de son entreprise de démolition à laquelle il n’avait ménagé aucune porte de sortie.
(6.5/10)
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le 22 mars 2017
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