Nettoyage ethnique en Terre de Feu, le baptême de sang du Chili d'aujourd'hui

D'un point de vue formel, le film est, je trouve, superbement photographié par Simone d'Arcangelo. En adéquation avec le contenu relativement sombre de Les Colons, beaucoup de clairs obscurs, mais aussi des gros plans ou plans rapprochés souvent saisissants (de certains visages ou de la tête d'un cheval apeuré), de magnifiques panoramiques de la Terre de Feu (à l'extrême sud de l'Amérique du sud, avec en arrière-plan les cimes enneigées de la Cordillère des Andes), de ses plaines ou plages immenses, de son ciel strié du vol rapide de myriades d'oiseaux marins. Dépaysement garanti.

Le fond est aussi sombre (et parfois glauque) que la forme est belle. Le scénario est greffé sur l'extermination des Indiens Selk'nam qui peuplaient la Terre de Feu jusqu'au tout début du XXème siècle, extermination semble-t-il commanditée par des propriétaires blancs désireux de s'emparer de leurs terres ancestrales. Le scénario du film retrace cette histoire plus ou moins tue jusqu'à nos jours, mais dans une version très simplifiée (et parfois romancée, voire fantaisiste, façon série B). Un supposé lieutenant britannique, un mercenaire texan et un jeune métis (moitié blanc, moitié indien et excellent tireur) sont chargés par le señor Menéndez, un riche propriétaire terrien de Punta Arenas (la ville la plus proche), d'ouvrir une route vers l'Atlantique afin de pouvoir y acheminer ses troupeaux de moutons. Pour cela, le trio a ordre de prendre possession des vastes territoires traversés en Terre de Feu et d'éliminer les autochtones rencontrés en chemin (les Indiens Selk'nam occupant ces terres depuis toujours), au prétexte que celles-ci appartiennent désormais au señor Menéndez et que ces Indiens font obstacle au progrès de la civilisation moderne, celle des blancs.

Après une scène d'ouverture pleine de brutalité qui nous présente deux des trois personnages principaux du film, à savoir le supposé officier britannique MacLennan et le jeune métis Segundo, le rythme devient assez lent, le film prenant peu à peu des allures de western contemplatif, les hommes étant plus ou moins écrasés par l'immensité, la rudesse et la froideur de la nature environnante (on n'est pas si loin de l'Antarctique). Il y aura quatre rencontres successives, d'abord avec le señor Menéndez et le mercenaire texan qui va compléter le trio, ensuite avec une autre petite troupe d'hommes blancs qui vont se mesurer aux deux hommes blancs du trio, puis avec une tribu indienne que les deux blancs du trio massacreront par surprise et sans pitié, enfin avec une troupe dissidente (je suppose) menée par un autre Britannique Ecossais, le colonel Martin et que le trio sera contraint de suivre.

Violences, meurtres, viols, des péripéties inattendues égrèneront le voyage des trois hommes. Au retour, le trio n'aura plus ni la même composition, ni la même contenance... Et c'est la fin de la première partie, de type western.

Lent fondu enchaîné... Et nous voilà 7 ans plus tard, à Punta Arenas, chez le señor Menéndez. Démarre une deuxième partie, assez décrochée de la première. Une partie, cette fois politique, qui tire à demi-mots les leçons du nettoyage ethnique schématiquement représenté dans la première partie. Les "blancs chiliens" sont plus que jamais au pouvoir ; s'il y a eu des "bavures", ils n'en sont pas responsables, la faute est rejetée sur les exécutants (que le pseudo lieutenant britannique MacLennan, dit le "cochon rouge", personnifie). Rien de vraiment étonnant, admet-on, à ce que la construction d'une nation chilienne moderne ait suscité quelques excès. Mais la page est tournée. Blancs et Indiens ne forment désormais plus qu'une seule et même nation. Nation dans laquelle le métis Segundo et sa femme indienne Kiepja sont, comme l'atteste le petit film qu'on tourne à leur sujet, parfaitement intégrés, habillés à l'occidentale et buvant du thé. Mais Kiepja refuse de boire de ce thé-là et de faire semblant. Son regard dit à la caméra qu'elle garde en mémoire toutes les exactions subies.

Belles images, bon film, sombre et dur, un rythme assez lent pendant une bonne partie du métrage (peut-être dû à un manque de moyens financiers), quelques dérapages dans le scénario, un bon casting, une bonne interprétation, une bande son relativement intéressante.

Ce premier film de Felipe Gálvez Haberle a obtenu le prix FIPRESCI (ou prix de la critique internationale) à Cannes, cette année (2023), dans la catégorie Un certain regard.

On peut trouver son message outré. C'est néanmoins un bon film, que tout cinéphile verra avec profit.

Fleming
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le 16 janv. 2024

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