La fin du monde les a frôlés ...
Du bois dont on fait les cercueils …
C’est le très étonnant, très décalé prologue des Combattants – le cercueil proposé pour le père ébéniste, par une entreprise spécialisée, est fabriqué dans un bois de dernière catégorie, parole de fils, face à un employé médusé. La suite, évidemment, n’aura pas grand-chose à voir avec cette entrée un peu déconcertante …
D’un bout à l’autre, le film fonctionne ainsi sur les décalages, les aiguillages surprenants.
Pour le genre déjà – comédie, sans doute, ou pas, ou de façon percutante (le fameux prologue, l’histoire tout aussi décrochée du furet et des poussins congelés) mais très ponctuelle ; comédie sociale, sur un certain malaise de la jeunesse, mais exprimée de façon très métaphorique (c’est en déplaçant tout sur le physique, mais de façon très masochiste, qu’elle / Edith Haenel, renonce en fait à laisser parler son corps, au dancing, pour le bain nocturne ; son développement très physique est aussi une censure de son corps) ; pas de thèse socio-politique là dedans (malgré la formation universitaire de Thomas Cailley), la fin du monde inévitable, comme justification à l’engagement dans les commandos, le délire n’est pas loin ; et décrochage enfin vers le fantastique, vers la fin, pour quelques minutes mais assez percutantes ; enfin et surtout (ou pas, ou de façon très singulière, on y reviendra) romance sentimentale, peut-être, mais sans aucun pathos, sans nul psychologisme …
Dans les tonalités également, les changements de direction sont constants ; parfois à l’intérieur d’une même scène : ainsi du fameux stage commando, où l’instructeur en chef hésite, selon les instants, entre Lee Ermey (celui de Full Metal Jacket) et Jean Lefebvre (celui de La 7ème compagnie).
Et toutes les références du film, que l’on pourrait multiplier à l’infini (et pas de façon forcément originale, ainsi du refuge au plus profond de la forêt comme retour au paradis perdu …) témoignent de ce très-très grand écart permanent ; on peut ainsi passer, sans transition, du Lagon bleu à Into the wild – avec la capture du renard et la consommation d’un gibier très impropre … ; et même à l’Histoire sans fin, à l’instant où les deux héros sont poursuivis par le néant , par un immense nuage noir, l’instant où la fin du monde va (seulement) les frôler.
Incohérence ? En réalité on finit par découvrir que ces sauts permanents du coq à l’âne sont très délibérés, plutôt maîtrisés et constitue sans doute la véritable originalité, difficile à saisir mais très prometteuse, du réalisateur. En réalité le film est très construit.
Pas comme une romance sentimentale, mais plutôt comme une éducation sentimentale.
En trois temps :
- La vie ordinaire, avec les potes, un peu glandeurs, la famille, plutôt soudée et l’irruption assez brutale du changement, sous la forme d’un premier combat, dans lequel, désolé pour le jeu de mots catastrophique, lui sera plutôt dans le rôle du con battu. Et déjà séduit.
- La remise en question de tout, pour la suivre, où qu’elle aille, vers le plus improbable, et ce stage militarisée de survie ;
- La découverte de soi-même enfin, avec l’échappée , la volonté de retour à la vie, l’abandon de la tenue de camouflage – et, surprise, sa toute première inflexion à elle, qui cette fois va le suivre, et le départ à deux vers le jardin d’Eden (dans une forêt qui évoque toutefois plus Fontainebleau que l’Amazonie. Adam et Eve. Ou les enfants de Moonrise Kingdom.
Le paradoxe de cette éducation sentimentale accomplie, c’est que le personnage central n’est pas forcément celui qu’on croit. Tout est évidemment centré sur elle, sur son étrangeté, sa solitude butée et physique, absolument monolithique – jusqu’à l’instant où elle se décidera enfin, toute seule, à fendre l’armure.
Tout est centré sur elle, mais l’histoire raconte bien son histoire à lui, son évolution, d’une insouciance dilettante, un peu glandeuse à des choix irréversibles. Il reste qu’elle en est plus que le déclencheur – et qu’elle-même, à la fin, finit aussi par se trouver.
Les deux jeunes comédiens parviennent à épouser parfaitement les deux personnages, leurs évolutions, jusque aux ruptures de ton du film – même si au tout début du film j’ai eu très peur d’un sur-jeu difficilement supportable. En réalité ils se trouvent rapidement : elle / Adéle Henel, d’abord et longtemps caparaçonnée sous son armure virile, violente, butée avant, peu à peu, que son expression ne devienne de plus en plus lumineuse ; lui, Kevin Azaïs, quelque part ente Bénabar et Steve Mc Queen (toujours ces grands écarts absurdes, là j’en fais sans doute un peu trop) parvient aussi, peu à peu, à s’accorder parfaitement à sa propre évolution, avec, « logiquement » une courbe absolument inverse de celle qu'elle est train de suivre.
Et ils finissent par se trouver, imparablement – comme le film parvient à trouver le spectateur.
Prometteur.