Comme dans Valley of Love, le personnage de Les confins du monde est à la recherche d’un fantôme initiatique. Guillaume Nicloux sonne le premier électrochoc du festival de Cannes 2018, dans la section de la Quinzaine des réalisateurs avec un film âpre, sec et violent, ponctué d’une imagerie aussi ésotérique que cadenassée.


Guillaume Nicloux continue à faire avancer son cinéma dans un retranchement encore plus spectral qu’à l’accoutumé dans lequel ses personnages plongent à corps perdus dans une quête initiatique et existentialiste. Alors que la Californie était les entrailles du souvenir d’un fils disparu, l’Indochine devient le tombeau d’un militaire ayant vu son frère et la femme de ce dernier tués et torturés pendant les insurrections japonaises en 1945. Ce qui fascine Guillaume Nicloux dans cette démarche artistique ce n’est pas tant la finalité de la vengeance ni de la découverte d’un mystère, mais la fusion entre l’Homme et son environnement ; c’est de faire ressentir l’espace de la manière la plus ésotérique voire organique qui soit pour que l’expérience devienne totale dans une jungle propice à tous les vices.


Mais en rentrant plus profondément dans cet univers « impitoyable », le personnage d’un Gaspard Ulliel habité et au porte de la folie, s’enfonce encore plus dans la folie et la primitivité de sa condition. L’armée est un endroit clos, où la promiscuité physique et mentale se délite face à la peur d’une mort se trouvant derrière chaque tronc d’arbre. Les confins du monde aurait pu simplement représenter la guerre et la bataille entre deux entités aux raisons différentes. Plutôt que de mettre son film dans un manichéisme qui s’avère parfois obligatoire dans les films de « guerre », le cinéaste français rend quasiment invisible l’ennemi opposé, notamment le dénommé Vo Binh qui est le centre de toutes les pensées d’un Robert Tassen en quête de vengeance.


Ce sentiment d’insécurité renforce l’aspect mystique de l’œuvre, et accentue le fait de voir ses hommes se ramifier derrière les pires atrocités sans que rien ne puisse les juger moralement ou judiciairement. La jungle, filmée sous toutes ses coutures, avec une précision d’orfèvre et une photographie sublime, devient le centre névralgique d’une bataille intérieure, et représente le cerveau cabossé ou l’esprit tourmenté de Robert Tassen. Les confins du monde est un exercice de style assez périlleux, complaisant dirons les plus réfractaires à l’œuvre, mais qui distille sa violence graphique avec une certaine maîtrise. Le film ne dissimule rien, que ça soit les corps encore en vie, les corps en érection ou en plein rapport sexuel ou ceux démembrés et déchiquetés par la guerre.


Derrière cette quête mentale qui trouve son paroxysme par l’effluve épidermique d’une violence gore outrancière, ses soubresauts sanguinolents permettent d’accompagner avec puissance la vision mortifère d’une zone où la priorité est de rester en vie. Cette représentation de la violence est la symbolique de l’état en friche de la conscience malade de son protagoniste principal, à l’image du parti pris d’un film tel que A Beautiful Day de Lynne Ramsay. Comme en témoigne cette première scène qui nous dévoile un Robert Tassen, seul survivant à un génocide, englouti par une masse de corps ensanglantés et informes, Les Confins du monde est une parenthèse désenchantée à l’humanité : la cloison entre l’Homme et l’animal éclate pour ne faire qu’un à l’image des rapports hommes/femmes qui ne sont que de simples effusions charnelles et destructrices.


Ce Cannes 2018 a sans doute trouvé son Only God Forgives à lui : une quête vengeresse qui lorgne vers le cinéma de genre initiatique oppressante à défaut d’être subtile et théorique, où la mise en scène quadrille avec habilité et austérité une violence naturaliste et percutante. C’est l’épuration totale d’un état de transe, où la réalité et le rêve s’accompagnent dans la noirceur la plus aveugle.


Article cannois pour LeMagduciné

Velvetman
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le 7 déc. 2018

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