Ces Contes sortent en 1953, an avant le triomphe de L’Intendant Sansho qui attirera les Occidentaux vers le cinéma japonais. Ce film de Mizoguchi exaltera l’intelligentsia du cinéma, des artisans de la Nouvelle Vague (Godard en particulier) aux commentateurs les plus littéraires. Il s’inspire des nouvelles d’un célèbre recueil japonais (Ugetsu monogatari) et dans une moindre mesure d’une nouvelle de Maupassant. C’est un film bousculé, naviguant entre les genres, grouillant et agité car il met les sentiments de ses protagonistes en avant. L’originalité de Mizoguchi est éclatante, la chorégraphie de ses multiples tendances de metteur en scène d’une précision remarquable, l’exercice éreintant.
Situé au XVIe siècle dans un contexte de fortes tensions au Japon, ces Contes sont reliés par la tragédie d’une famille à cause de l’appât du gain. Configuration classique chez Mizoguchi, avec les vices des hommes qui les mènent à la décrépitude. Mizoguchi s’intéresse aux interactions entre ses personnages et leur environnement ainsi que la société, mais avec un déséquilibre en faveur des individus. Les conflits civils ne sont pas de leur fait, mais c’est de l’intérieur que viennent leurs désirs et leurs volontés – souvent contrariés. Chez Mizoguchi, le volontarisme est généralement mis en échec par le poids des déterminismes – de façon plus radicale qu’ici avec L’Intendant Sansho ou La rue de la honte.
Les Contes de la lune vague apportent donc un point de vue différencié. Même si à l’arrivée les personnages échouent à s’affirmer et sont dévorés par des déterminants plus forts qu’eux, ils n’apparaissent pas comme des pions absolus, mais bien des acteurs en mouvement capables d’intervenir sur leur existence ; mais, certes, toujours incapables de se forger un destin. La psychologie des personnages est dressée avec un mélange de raffinement et de schématisme théâtral. Le temps et l’espace finissent par s’oublier, au bénéfice des ondulations de l’âme. Le réalisme le plus posé, le lyrisme le plus désincarné et même le fantastique (séquence du lac) collaborent avec efficacité.
Sauf dans les moments strictement nippons (où les religions d’extrême-orient et le code de l’honneur sont au cœur des préoccupations), Mizoguchi accède à l’universel. Il transcende son matériau au prix d’un équilibre parfois ténu entre la lourdeur pointilleuse du propos, la composition virtuose (mouvements rares et dramatiques, légère plongée la plupart du temps) et le syncrétisme harassant. L’aspect kaléidoscopique des Contes de la lune rend le film méritoire (pour la précision du ballet), mais il manque de souffle. Il y a un stade où le didactisme empêche la grâce, tout comme il gêne l’intelligence. Les Contes de la lune est trop cadenassé et ‘criard’. Une espèce d’astre à l’hystérie triomphante découpé en petits morceaux recomposés.
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