D’un film de commande, Joseph Losey en tire une oeuvre personnelle

Durant son exil au Royaume-Uni, Joseph Losey a poursuivi son bonhomme, enchaînant des projets de commande jusqu’à obtenir la consécration. Sur le sol anglais, il l’obtiendra grâce à L’enquête de l’inspecteur Morgan (Blind Date en VO). En France, cela se fera grâce aux Criminels, un film noir somme toute classique sur le papier mais avec lequel il réussit à imposer sa patte, son cinéma, afin de se faire remarquer. Et même si le succès international est encore loin (The Servant sortira trois ans plus tard), le réalisateur sut montrer tout son talent et son savoir-faire pour livrer des œuvres qui lui sont propres.


Pourtant, Les Criminels n’a franchement rien d’exceptionnel au premier abord. Si ce n’est le fait qu’il s’agisse d’un film noir tout ce qu’il y a de plus banal, reprenant les codes du genre. À savoir suivre les mésaventures d’un homme (ici, un petit gangster) qui va se retrouver emprisonné dans une situation qui n’est pas de son ressort (par jalousie d’une ancienne maîtresse). Le tout raconter avec un certain pessimisme et abordant des thématiques privilégiés de ce genre : la trahison, le crime, le meurtre et le fatalisme. Jusque-là, Les Criminels ne sort pas spécialement du lot. Mais Joseph Losey s’en sort en traitant son film avec beaucoup de classe, lui donnant une certaine envergure : les costumes des personnages, le charisme de son comédien principal qu’est Stanley Baker (qu’il redirigera dans Eva et Accident), les compositions « jazzy » de John Dankworth, un visuel sublimé par la photographie en noir et blanc de Robert Krasker… tout y est pour que le visionnage des Criminels soit un réel plaisir.


Mais le détail qui va faire toute la différence, c’est un simple décor, que Joseph Losey va mettre en valeur : la prison. Si le film parle d’un casse, de mafia et de trahison en passant par les cases bagarres et course-poursuite, une bonne partie du long-métrage se passe entre les murs d’un bâtiment carcéral. Dans lequel le réalisateur va dévoiler à la lumière du jour la corruption des gardiens, le fait que les prisonniers fassent leur propre loi… Bref, ce qu’il faut pour construire un microcosme prouvant qu’une société basée sur l’argent, le pouvoir et la concurrence peut se reproduire dans n’importe quel contexte. Ainsi, en plus de donner de l’intérêt à l’ensemble, dresser ce tableau permet également à Joseph Losey de marcher en terrain connu.


Outre l’ajout de certaines exubérances comme le cinéaste sait si bien les faire (comme l’apparition d’une femme à travers un kaléidoscope), donnant au film une légèreté bienvenue dans le ton, Losey va se servir de ce fameux décor pour faire de son protagoniste un personnage à sa mesure. Un faux-faible, condamné d’entrée de jeu par son orgueil et sa prétention, le poussant à s’en sortir par tous les moyens nécessaires. Un homme qui se croyait être une sorte de leader en prison mais qui n’est finalement, une fois sorti, qu’un pauvre maladroit se faisant avoir par les femmes et ses complices. Et qui, une fois de retour derrière les barreaux, va perdre irrémédiablement son statut de gangster modèle car n’arrivant pas à faire face au microcosme si spécifique cité plus haut. Une sorte de quête d’identité propre au cinéma de Losey, qui offre pour le coup au Criminels une noirceur qui augmente crescendo (le ton léger s’évanouit derrière des scènes à tendance infernale, comme la révolte des prisonniers). Sans toutefois passer par l’action, Les Criminels dévoile une violence assez brute dans ses propos, le devenir en pleine dégradation de son antihéros. Ce qui en fait tout son charme et son appartenance au cinéma de Joseph Losey !


Reprenant le pas sur une première période anglaise plutôt douloureuse (le cinéaste essuyant des refus à cause de son étiquette de communiste), Joseph Losey a su reprendre les codes du film noir américain et jouir de la liberté offerte par le cinéma britannique en sa faveur, pour faire d’un produit de commande une œuvre personnelle. Peut-être pas un long-métrage inoubliable mais mis en boîte avec suffisamment de talent et de personnalité pour lui permettre d’attirer les regards sur son travail. Et d’enchaîner par la suite avec ce qui sera considéré comme les plus grands titres de sa carrière (Eva, The Servant, Accident…). Une bien belle revanche sur Hollywood et le maccarthysme dont il fut victime !


Critique sur le site Cineseries-mag --> https://www.cineseries-mag.fr/les-criminels-un-film-de-joseph-losey-critique-82513/

sebastiendecocq
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le 17 nov. 2016

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