Un documentaire puissant sur les conditions d’abattage en France, qui se concentre non pas sur l’agonie des bêtes mais sur l’expérience subjective des ouvrier.es qui les mettent à mort (pour cette raison, le film a l’élégance de ne pas montrer d’images choquantes). Anne-Sophie Reinhardt adopte une forme très simple, le montage alterné de témoignages face caméra, mais réalise une idée géniale de mise en scène en faisant évoluer ses protagonistes dans une forêt. Avec ce choix de décor, le lieu fermé, caché et hors du temps qu’est l’abattoir, qui enferme, isole et broie les individus, se retrouve métaphoriquement transposé en un autre huis-clos, labyrinthique et bruissant, dont le calme peut devenir un écrin pour la parole. Dans ce documentaire, l’on n’assiste pas à une thérapie collective : chaque témoin reste seul, et la mise en retrait délicate de la réalisatrice préserve la singularité de chacun tout en la laissant se dévoiler d’elle-même. Mais, au fur et à mesure que les langues se délient, entre les ricanements gênés des uns et les pleurs des autres, les discours rentrent en écho et font retentir avec force une meurtrissure commune.