Pas très engagé mais quand même très fort. D'autant plus fort même.
Daniel Gordon suit le quotidien de deux jeunes filles qui se préparent toute l'année pour les Mass Games, une démonstration de force et de soit disant unité sociale où plusieurs dizaines de milliers de jeunes Nord Coréens exécutent des chorégraphies préparées minutieusement dans la sueur afin de ne faire plus qu'un lors de la grande messe où chacun rêve d'apercevoir le Généralissime.
Un documentaire simple dont le manque de hargne reste assez secondaire lorsque l'on lit entre les lignes et surtout que l'on décrypte les images. Car Daniel Gordon, étrangement, ne dénonce rien. Il filme son documentaire comme si c'était un doc banal sur 2 jeunes filles qui préparent leur spectacle de fin d'année. Pas de dénonciations du système, à aucun moment il ne force la parole ni ne pose de questions embarrassantes, il suit simplement les deux jeunes filles dans leur quotidien. Au delà de cette approche qui peut sembler simpliste et des trop rares interventions des parents, grands parents et adultes en général (la prof d'anglais avait pourtant l'air d'avoir envie de parler mais non), c'est l'immersion dans la vie de ces deux jeunes filles que j'ai trouvé vraiment captivante. Elles respirent l'enfance dans un monde qui les aveugle et les enferme et ne vivent que pour un entraînement sans relâche de 2 à 8 heures par jour toute l'année avec pour seul objectif de faire honneur et d'apercevoir le jour J le général King Jong Il, ne serait-ce que quelques secondes. Le regard admiratif des jeunes filles au mont Paektu, une sorte de journée parfaite pour la bonne petite patriote, les réactions anti-américaines spontanées de la famille comme réponse immédiate à tous les problèmes quotidiens, le final où elles suent corps et âmes devant les chefs militaires aux tristes mines déterrés. Tant de dévotion, d'amour pour un seul homme, d'endoctrinement de masse qui se glisse partout même dans la cuisine. L'impression est saisissante, surtout pour quelqu'un qui n'a pas vu grand chose sur ce pays auparavant.
La réalisation conciliante reste efficace et bien plus concluante pour le coup que le très mauvais "dans les tours du 11 septembre" du même réalisateur. La musique choisie pour la grande démonstration finale totalement occidentale m'a semblé pertinente, plus en phase avec l'instant que la musique patriotique originale même.
Les mass games, chorégraphie monstrueuse de plus de 90000 personnes réalisée chaque année en l'honneur du généralissime sont aussi une image très forte et une démonstration impressionnante de travail collectif, reflet parfait de la doctrine nord coréenne omniprésente dans tous les aspects de la vie.
Un tableau certes bien édulcoré mais un film marquant malgré tout, surtout pour celui qui n'en sait pas beaucoup sur le sujet. Une bonne claque en ce qui me concerne. La force véhiculée par ces vies emprisonnées qui s'écoulent sous nos yeux comme si elles étaient derrière une vitre sans teint est indéniable, comme si nous étions de l'autre côté du miroir avec une terrible envie de crier pour qu'elles entendent.
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