Le portrait d’une quadra qui ouvre le nouveau film de Rebecca Zlotowski combine deux forces apparemment contradictoires, que seule une comédienne de la trempe de Virigine Efira parvient à incarner. La force, évidemment, d’une enseignante face à ses élèves, occupe l’espace et son quotidien avec une évidence indiscutable. Et, dans l’urgence de cette soirée comme les autres, cette vulnérabilité d’un sourire face au téléphone, d’une étourderie, d’un maquillage en reflet d’une vitre du métro : le sentiment amoureux a fait irruption, prêt à transcender et compliquer l’existence. Parce qu’il faudra apprendre à composer avec la vie du nouvel élu, son ex et surtout sa fille de bientôt cinq ans, à qui il faudra laisser une place, et donner de soi, alors que le désir d’enfant se fait lui-même pressant et que l’horloge biologique envoie des signaux d’urgence.


Les ingrédients sont donc posés sans afféteries, et Rebecca Zlotowski prend le parti d’un premier degré ô combien salvateur, s’en remettant au formidable travail de ses comédiens : un couple embarqué dans cette reverdie adolescente, d’une spontanéité désarmante, un entourage aux prises avec la vie, le deuil, les études, la maladie, la séduction d’un collègue, la destinée complexe des élèves. Le tableau pourrait être chargé, le cahier des charges pourrait virer à la démonstration : ce ne sera presque jamais le cas (la scène de l’accident est clairement dispensable), parce que la réalisatrice travaille une distance très juste avec toute cette nébuleuse d’événements. Rachel, au centre du tableau, est en réalité en figure de spectatrice : elle contemple, tout autour d’elle, tout ce qui compose l’existence, comme en témoigne cette place au dîner où la caméra cadre son regard panoramique sur les convives. L’élément le plus touchant de son parcours consiste en son apprentissage, cette approche initiatique d’éléments qu’elle pourrait déjà connaître, mais qui se présentent à elle tardivement, et qu’elle ne peut pleinement prendre à son compte. Apporter un goûter à la sortie du judo, épauler d’autres mamans dans la tourmente, être, enfin, de la famille.


La mise en scène combine ainsi la poursuite de ce regard d’abord prudent, puis envieux, qui passe de la comédie (Rachel nue, enfermée sur le balcon) à un écart plus marqué, dans une appropriation de l’espace jamais totalement accomplie. Mais Rebecca Zlotowski n’ambitionne jamais la chronique sociale ou l’étude de mœurs : son film est, au sens premier, sentimental, et embrasse volontiers un code à l’ancienne, par une partition musicale constante et éclectique dans les premiers temps du récit ou des transitions en irréguliers et très ostentatoires fondus au noir. On y retrouve l’élan des mélodrames de l’âge d’or hollywoodien, ces portraits de femme qu’avait construit Douglas Sirk, actualisés par le regard d’une femme derrière la caméra, qui filme avec la même justesse une séance au cinéma, le sexe et les larmes.


Le parcours de Rachel restera, en un sens, celui de la spectatrice, assistant aux avènements autour d’elle : une autre naissance, les retrouvailles d’un couple légitime, la mort, le départ de l’élève. La vie, qui reste longue, selon son médecin, lui réserve encore bien des chapitres, comme en témoigne un épilogue en forme de petite compensation. La véritable conclusion sera pourtant celle de cette discussion avec Leila (qui rappelle la bouleversante séparation entre Amalric et l’enfant dans Rois et Reine), et l’échange de regard au parc avec l’ancien compagnon : le temps creuse ici la distance et le sentiment d’être passée à côté d’une vie qu’on croyait pouvoir saisir. Mais ce ne sont pas ses yeux qui se baissent (« on va arrêter de s’excuser pour les hommes », avait-elle assené à la mère de Leila), et la force qu’est la sienne pourra rejaillir encore sur les autres.


7.5/10

Sergent_Pepper
8
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le 26 sept. 2022

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Sergent_Pepper

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