Le versant américain du cinéma de John Schlesinger a à voir avec la notion de justice, celle subordonnée à la loi et qui s’avère souvent défectueuse, celle que se donne l’individu conscient des limites de la loi de son pays et n’hésitant pas à l’enfreindre. Ses films proposent une articulation entre ces deux sphères, entre justice étatique et justice personnelle, conformément au mythe du pionnier fondateur soucieux de préserver ses droits dans un monde défini par le chaos et la duplicité.


Tout en s’inscrivant dans cette thématique essentielle, The Believers veille à la déplacer pour orchestrer la rencontre entre la loi de Dieu ou des dieux et de la loi des hommes : le film s’ouvre sur un accident domestique, néanmoins mis en scène comme la manifestation d’un projet supérieur auquel nous, spectateurs avons accès ; nous voyons le livreur de lait rattraper le père et jogger, tous deux cadrés au-dessus du sol si bien que nous avons l’impression qu’ils volent ; ce livreur constitue sans le savoir le bras armé du mal, livrant la bouteille de lait à l’origine de l’accident. D’entrée de jeu, donc, Schlesinger interroge la notion de fatalité et nous place dans une position complexe, tiraillés entre une compassion pour le personnage principal et son enfant d’une part, son insertion dans un récit qui nous rend complices des actions avant qu’elles ne se réalisent d’autre part.


Car The Believers est un grand film sur la croyance et l’incapacité de la grande ville moderne à l’endiguer. New York, ses dédales de rues, ses passants pressés ne réussissent pas à repousser la croyance – appelée foi ou superstition, selon les cas – hors de ses frontières, croyance qui surgit lorsque des rituels sacrificiels sont découverts, quand la police et les médecins interviennent pour rétablir un semblant d’harmonie. Et en construisant son récit sur la résurgence de la croyance au sein d’un espace a priori impropre à la recevoir, le cinéaste rappelle que les valeurs qui régissent l’organisation des hommes restent avant toute chose l’expression d’une foi en la société, création de type religieux. De même, la famille constitue une association axée sur la croyance en un bonheur partagé et des valeurs (fidélité, amour…), d’où le retournement de situation final que nous ne révélerons pas ici. Aussi le ravissement de l’enfant à son père est-il traité comme le passage d’une famille à une autre, d’un foyer urbain à un foyer rural, cerné de bois, comme retour à la terre et aux origines.


Le travail sur la lumière et la photographie transforme des lieux apparemment anodins en autels religieux, à l’image de cet entrepôt abandonné aux allures de tour céleste. Magnifiquement réalisé, le long métrage envoûte le spectateur par sa grande fluidité, ses mouvements de caméra élégants et dotés d’une puissance symbolique certaine. Mais ce qui assure la réussite de The Believers, au-delà de toutes ces qualités, c’est l’écriture des personnages. Schlesinger ne perd pas de temps, va à l’essentiel, mais sait écrire ses personnages : les échanges entre père et fils sont naturels, la relation qui les unit à un ami magicien – le versant laïque et comique de la croyance – est touchante, de même que l’insertion dans ce microcosme masculin d’une femme, épouse et mère nouvelle. Le cinéaste a compris qu’une identification aux protagonistes était nécessaire pour éprouver le mal depuis l’intérieur. Un très grand film, passionnant et haletant.

Créée

le 17 juin 2020

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