Ivano De Matteo fait un cinéma qui s’appuie sur une culture documentaire, en partie parce qu’il en a réalisés trois. Ainsi, sa fiction ne peut qu’être teintée que de la volonté de montrer, de démontrer et de dénoncer la réalité. S’exprime à travers son œuvre alors le débat incessant sur le lien entre le cinéma et la réalité : est-elle sise devant la caméra ou alors est-elle une image modifiée d’un réel ? C’est toute la question du documentaire qui se pose alors. Les Equilibristes tentent alors de se pencher sur les hommes et la réalité de leur misère par le biais de la spirale de la pauvreté. En effet, comme il le dit lui-même, il suffit d’ « un coup de vent » pour que tout bascule, l’homme marche constamment sur un fil sans s’en rendre compte. L’utilité du film réside ainsi justement dans les réactions institutionnelles ou sociétales. Il n’étonnera personne de dire que nous vivons dans une société capitalisée dans laquelle l’existence en son sein ne se base que sur la richesse que l’individu possède. La considération d’être humain n’est bonne que pour les riches. Ivano De Mattéo réalise (parfois) des scènes remplies de sens et de tragédie humaine. En effet, Giulo (Valerio Mastandrea) amène son fils et son copain dans une fête foraine, les enfants jouant sans se soucier de ce qui ne les touche pas l’argent. Or, constamment Giulo marche sur le fil de la pauvreté, la vraie, celle qui vide les poches ; il ne peut ainsi plus se permettre de payer les 4 euros manquant. La caissière appelle alors les enfants par des numéros pour les faire sortir signalant alors que l’homme est un homme que lorsqu’il paye et participe à la capitalisation ambiante. Un pauvre ne mérite pas d’identité propre puisqu’il ne sera présent et montré qu’à travers les courbes du chômage, de la précarité ou de la pauvreté. Ivano De Mattéo montre également la surcharge mortelle des instituions de charité qui ne peuvent plus remplir leur fonction : « ils ont construit 40 logements alors qu’il en faudrait 2000 » racontent succinctement un homme. Il ironise même disant alors « le divorce, c’est pas pour nous, c’est pour les riches » laissant la liberté de vie à l’argent et non à la décision humaine. C’est cette solitude dans la pauvreté qui intéresse le réalisateur qui le fait entraîner son personnage dans la spirale infernale de la misère sociale.
Les Equilibristes, Ivano de MatteoCependant, de bonnes intentions ne donnent pas forcément de bons résultats. Outrepassons déjà une bande originale dont la subtilité rendrait les musiques de John Williams jalouses dans l’étalage de tristesse violonisée et de malheurs pianotés. Il est navrant de voir un réalisateur prendre une place de Dieu dans son propre cinéma. Jamais Ivano De Mattéo ne se met à hauteur d’hommes, cherchant toujours à contempler la misère qu’il met en scène donnant ainsi comme un os à des chiens affamés de malheurs que serait les spectateurs. Sa caméra surplombe et écrase ses personnages sans jamais les regarder avec humilité. Ensuite, c’est la volonté des réalisateurs de parfois vouloir montrer leur présence par des mouvements de caméra qui laisse le spectateur de marbre. Il faut faire la différence artistique entre un effet de caméra donnant du sens et affirmant un cinéaste-auteur et le simple ballottement d’une caméra. De plus, il entraîne son propos dans un misérabilisme pesant cherchant toujours la péripétie suprême et fatale. Ce qui dérange surtout, c’est que la situation fonctionne sur une incohérence face aux revenus que touchent le protagoniste (plus de 1200 euros) et sa pauvreté croissante. S’il voulait tant de misère, pourquoi ne pas avoir rajouté la case chômeur à la longue liste d’accablement de son personnage ? Surtout dans le but de finir dans un surprenant (et décevant) happy end sur une musique dansante. Avait-il peur d’aller trop loin, de ternir l’image d’un pays qu’il dit « mort » ? Enfin, Ivano De Mattéo entoure son récit pathos d’une ribambelle de second rôle caricaturaux et dénaturant complètement sa soif de réel. Il amène son récit dans un comique qui ne sied guère à son propos. Il balance, comme sur un film, entre les genres et donc les finalités de son œuvre. Il se repose sur des clichés faciles : le vieux gay lubrique, la tenancière fumante, le bègue mis à l’accueil. Sans doute cherchait-il à égayer un film pesant et maussade.
Les Equilibristes, Ivano de MatteoLes Equilibristes ne sont pas alors ceux que l’on croit. Ils ne sont pas sur l’écran mais dans bien la salle, ne sachant plus s’ils doivent sauter hors d’un navire qui coule ou tenter de tirer du film une critique sociale esquissée mais jamais menée à son terme. Un succès aussi ne tient finalement qu’à un coup de vent.