Revenir aujourd’hui sur les traces du premier long métrage du prolifique réalisateur Denis Côté, LES ÉTATS NORDIQUES, c’est trouver des nouvelles pistes de lecture qui nous échappaient alors. C’est que le cinéaste a défriché tellement de territoire dans son imaginaire depuis 2005, qu’il est désormais possible de comprendre davantage son point d’origine.


Il est fascinant de revisiter ce film artisanal construit surtout avec une volonté de faire du cinéma. Ce n’est sûrement pas un hasard que le tout commence avec une suite de plans dans lesquels nous voyons les réactions de spectateurs (réactions provoquées avec lesquelles il s’amuse encore maintenant). Si nous pensons au début qu’ils sont face à un écran de cinéma à cause de la réflexion d’une lumière diffuse sur leur visage, l’ampleur de leur enthousiasme collectif les trahit, et la scène de lutte qui apparaît vient confirmer nos doutes. Cet hommage instinctif au film LA LUTTE, œuvre phare du cinéma direct, propulse ce récit qui fera la part belle au documentaire.


En fuite d’une grande ville où il mit fin aux souffrances de sa mère malade, le personnage solitaire de Christian ira se terrer au bout de la route asphaltée, dans la municipalité de Radisson dans le nord du Québec. En posant le pied là-bas, cet homme fictif échangera avec les habitants bien réels de ce village isolé, coupé du monde. Cette importante rupture de ton, signature que Denis Côté conservera pour plusieurs de ses œuvres subséquentes (particulièrement pour son inclassable CARCASSES qui fait écho comme étant le négatif de ce film), déstabilise le spectateur et le sort de ses zones de confort narratives. Christian, parti pour se perdre, se retrouvera tranquillement grâce aux habitants de Radisson (remercier tel quel au générique) qui croiseront son chemin. Comme si la fiction se nourrissait du documentaire pour mieux progresser, et ultimement être rattrapée par les mécanismes implacables du drame.


Léopard d’or dans la section vidéo du festival de Locarno la même année, LES ÉTATS NORDIQUES, au départ, remplissait seulement deux pages de scénario et devait mener l’équipe réduite jusqu’au Groenland. Digne représentant des méandres du financement du cinéma québécois, Denis Côté a dû restreindre ses ambitions et miser beaucoup sur l’improvisation et la détermination de son bataillon (le comédien Christian LeBlanc, très convaincant, la fidèle productrice Stéphanie Morissette, le directeur photo Denis Laplante, le preneur de son Thierry Collins et le monteur, frère d’armes sur le point de partir à la chasse de ses propres images, Rafaël Ouellet).


Cela n’a pas empêché le réalisateur de BESTIAIRE d’abattre d’autres frontières, celles formatées du cinéma commerciale auxquelles nous sommes s’y habitués. Et à chacun de ses nouveaux films, Denis Côté nous rappelle qu’il n’y pas une seule façon de raconter des histoires. Mais pour pleinement apprécier le travail de ce grand voyageur, qui parcoure le globe avec chaque terrain de son imaginaire qu’il débroussaille, il y a une seule manière : faire confiance au cinéma, comme un art où l’exploration est le plus passionnant des parcours.

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le 4 juil. 2017

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Daniel Racine

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