Logé au cœur d’une période particulièrement prolifique pour Altman, entre Le Privé et Nashville, Les Flambeurs suit un duo de comparses écumant toutes les possibilités du jeu d’argent : pari sportif, courses de chevaux, matches de boxe, et bien entendu poker et casino. L’occasion pour Eliott Gould, un fidèle du réalisateur, d’exceller comme à son habitude dans une figure à la fois nonchalante et pathétique, classieuse et en perdition, épaulé par George Segal qui prend progressivement le dessus dans leur association.


Les partis-pris connus du cinéma de Robert Altman fonctionnent ici à plein régime : davantage intéressé par les comportements que par une intrigue, le cinéaste construit une galerie de portraits sur l’Amérique des marges, des milieux populaires rêvant vaguement de fortune, mais assez brisés pour rester lucides. La technique chère au réalisateur, consistant à capter des lieux bondés et de passer d’un groupe à l’autre en chevauchant les dialogues se prête particulièrement bien à ce sujet, et ménage de longues séquences durant lesquelles le seul propos est l’immersion dans un milieu, bruyant et profus, où la spontanéité forte en gueule des classes populaire fait loi.


Pour le reste, c’est un trajet en demi-teinte, qui voit les protagonistes essuyer de nombreux revers, perdre systématiquement tout ce qu’ils gagnent, flairer les combines, s’illusionner pour des tuyaux, composer avec les créanciers et expérimenter l’amour avec la même logique de frustration continue. Tout en reconnaissant les qualités intrinsèques au jeu des acteurs et à l’authenticité de l’ensemble (qui évoque par instants le cinéma de Cassavetes), on peut se questionner de temps à autre sur l’intérêt de tout ce surplace, qui pourrait durer aussi bien quatre heures que deux. Le dernier segment du film introduit cependant un regain dynamique, avec une longue incursion dans un casino qui voit le duo mis à l’épreuve : tandis que le personnage de Gould entre dans une phase de gain presque magique, celui de Segal se voit mis sur la touche et contraint de rester en retrait pour ne pas briser sa baraka. L’occasion de mêler l’inaction à l’événementiel, avec une attention portée d’avantage sur le second plan que sur la gagne, avant un final un peu asthénique qui lui aussi reprend cette ambivalence : si l’addiction au jeu est évidemment le nerf narratif de cette odyssée, c’est surtout l’hébétude post partum continue qu’elle engendre qui éclate le plus à l’écran.

Sergent_Pepper
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le 22 juin 2021

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