« Trop loin à l'est c'est l'ouest » et trop profond le désastre devient jubilatoire. Les Gaous est un film médiocre mais constitue une expérience remarquable, y compris pour des raisons non strictement 'négatives' (comme sa désinhibition ou sa faculté à laisser des souvenirs, si stupides soit-ils). Le titre vient d'Afrique et désigne un campagnard crédule et fauché en train d'arpenter la ville, soit un territoire trop complexe pour lui. Réalisé par Igor Sékulic sous le pseudo Igor SK (spécialiste des effets spéciaux et producteur, dont c'est le seul film à ce poste), Les Gaous est fortement sous l'influence de son ami Jean-Marie Poiré, officiellement scénariste et producteur. Ce film sorti l'été 2004 est une extension de son œuvre remplie de comédies explosives, les plus fameuses étant Les Visiteurs et Les Anges Gardiens.
Basé sur un postulat falot (pour envoyer les gars de Bourdeilles à Paris), Les Gaous serait devenu un raté trivial sans son montage sous amphétamines. La vitesse et le nombre des plans sont colossaux, dépassant Les Visiteurs 2, ce zénith de l'hystérie intransigeante dont Les Gaous récupère quelques parts de vertus. La passion de la gueulante est dans la même lignée, mais ici rien ne vient jamais des profondeurs et les offensives sont fugaces : il n'y a que des foucades, pas de plan ni de rancunes. Le film envoie du lourd constamment, en terme d'informations comme de vannes. Il est toujours à fond dans le moment immédiat, impérieux et presque bestial : c'est une tornade. Tout devient matière à gag et opportunité de digression (exemple : Maurice part pour le travail, soudain le voilà en héros d'un mini-concert dans l'étable – type 80s purulentes/Nuit déserte, ce qui égaie effectivement les paysans).
Abonnée à toutes les outrances présentables (quoique la tête de Pénélope par la fenêtre soit perturbante – quelle descendance improbable pour Ténèbres d'Argento), la séance comporte sa dose de gras : le passage à la fac de médecine apportant un début de mise en perspective, il fallait saloper la chose au plus vite, ce qui débouche sur un découpage malheureux de testicules de taureau. Il y a aussi une âme et des aspirations tire-larmes ! La musique est tout aussi déterminée et inconvenante que le reste ; parfois elle se fait 'romantique' et souligne la noblesse des sentiments à l’œuvre. Mais dans ce contexte de démence généralisée, joyeuse et assertive, quelques secondes tentées par la suspension ne suffisent pas : même en masse, la bonne volonté et les poussées d'affects sincères ont des effets limités. Qu'importe, sous les couches d'impulsivité se niche une sensibilité bucolique, incarnée par Maurice et son don, la capacité à écouter les animaux (c'est le bureau des plaintes de la ferme, le psy des incompris). Poiré a envie de valoriser le brave gars de la campagne, responsables des uniques moments 'émotions soap' en ville, lors de ses conversations avec le chien Prosper ou l'idylle avec sa maîtresse Julie.
Comme tout est catégorique et primaire, tout le monde d'une franchise dégénérée, des révélations graves peuvent se démouler à vif : un petit air de classique en bruit de fond suffit pour emballer l'annonce de la paternité de Bricard (Bohringer). La profusion seule ne pourrait tout justifier et Les Gaous a bien des atouts, un potentiel que sa brutalité lui permet d'exploiter avec un minimum d'efforts. Les pics d'intensité dans le ridicule ne valent pas mieux que les 'navets' en chef de la décennie tel Ma femme s'appelle Maurice, mais Les Gaous peut compter sur sa (vaste) galerie de crétins spectaculaires (proches du cartoonesque : le couple de bourgeois parigots touriste à Bourdeilles, la tribu de hippies, la dinde sale mais libérée à Paris). Dans ce film tous les personnages montrent leur visage le plus grossier ou absurde (à l'exception de Julie [simple cruche honnête], dont le nouveau départ se veut d'une belle authenticité). Beaucoup sont toutefois inutiles ou exploités de manière approximative : ainsi la virée parisienne de Bigard est un flop intégral ; les wesh pré-kikoos auront finalement de l'importance pour une seule scène après leur apparition, en temps que simples renforts.
De plus le film accuse un certain retard sur l'Histoire, en terme d'habillage et de 'sociotypes' (à l'image de nombreuses adhérents de la fosse 'comédie' après tout, Qu'est-ce qu'on a fait au bon dieu sorti dix ans plus tard étant un champion). La complaisance et le goût des choses simples sont sûrement les principales fautives. Néanmoins ce décalage pour pointer le décalage permet ironiquement d'exprimer une affection pour les gaous – voire la préférence pour leur vulgarité, face à d'autres censément 'plus modernes' et banales, donc pas très nourrissantes a-priori pour pondre une grosse farce (plutôt du genre à ennuyer et gêner la digestion). Enfin il faut avouer que l'expérience se mérite, ne se laissant appréhender comme un banal bis à base de crocodiles mutants ou comme un 'nanar' éloquent et facile type T'aime ou Kill for Love (qu'il détrône en terme de 'purge sympathique') – mais en étant plus généreux et abordable qu'un FART the movie. Les Gaous semble beaucoup plus long qu'il en a l'air : lorsqu'on débarque enfin à Paris, on se croit à tort à la moitié de la séance. Le montage ultra-speedé sauve le film mais a donc ses vices. Le spectateur sort 'toqué' : mal de crâne pour les pervers et les aventuriers indulgents, évanouissement pour les plus fragiles.
https://zogarok.wordpress.com/2016/07/13/les-gaous/