Banned by me.
Il fallait bien que Bouli Lanners s’attaque à l’enfance : dans sa quête permanente d’authenticité chez les êtres abîmés par un monde qui les dévore, aller chercher du côté de la jeunesse tombe sous...
le 16 janv. 2017
26 j'aime
5
Je vous partage ici plutôt une réflexion (et un questionnement) sur le cinéma qu’une critique à proprement parler.
(et, si vous ne voulez pas être spoilés du tout, visionnez le film avant de lire la critique !)
La plateforme de streaming classait Les Géants en « comédie ». Malgré quelques bons éclats de rire, j’ai passé 80 minutes à me dire « c’est une comédie, ça ? ».
Puis je suis aller lire les critiques sur SC et, une fois de plus, j’ai ressenti cette invitation à prendre de la hauteur (merci à Thelonious, takeshi29, Gand-Alf, -IgoR-, Sergent_Pepper). Vu comme un conte, c’est sûr que le film prend un tout autre visage.
Mais cela me pose des questions sur l’essence du cinéma.
Dans un livre, les mots sur le papier assurent une distance vis-à-vis des vies réelles.
Au théâtre on voit de vrais humains mais le cadre (salle, scène…) nous rappelle que c’est une représentation.
Le cinéma par contre me semble avoir la particularité de proposer des créations plus réalistes. On peut vraiment se sentir immergés dans la vie du personnage dont on perçoit des éléments réels : sa chambre, sa rue avec ses bruits, son lieu de travail etc.
Mon positionnement face à un film est de me laisser prendre par lui (si cela advient) – sur un versant très émotionnel, donc. J’aime me laisser toucher par un personnage, me sentir vibrer au fil des péripéties. Par ailleurs, je suis plutôt sensible donc je sais que je dois me protéger et éviter les films trop trash (thriller…). Quand je visionne du cinéma social (frères Dardenne, Ken Loach par ex.) je sais que je vais prendre un coup mais je m’y prépare – et il me faudra le temps pour encaisser et laisser décanter.
Devant Les Géants, l’identification fonctionne à fond, je me laisse embarquer, je suis touché par ces ados merveilleux. Je souffre de leurs déboires, de la façon dont la vie les maltraite. Je trouve le film très beau mais en même temps tellement dur, tellement triste. Et tellement vrai sans doute, peut-être pas en Belgique – quoique, nous dirait ATD Quart Monde – mais en des contrées moins favorisées de notre terre (enfants des rues…).
Je ressens alors la fin des Géants en mode « désespoir », voie sans issue.
Je vais donc lire vos critiques et je trouve ça très beau de le voir comme un conte. Mais cela suppose une prise de distance qui me paraît contradictoire avec ma façon de voir un film – décrite ci-dessus. Je perçois le mouvement intérieur par lequel je pourrais changer mon positionnement, mais je m’y sens réticent. Cela modifierait ma façon de vivre le cinéma. Plutôt que de me laisser prendre par le film, je mettrais ce filtre : « Ces ados ne vivent pas vraiment ça, c’est symbolique, le film dit autre chose qu’une réalité. » Cela m’éloignerait de la spontanéité (laissant libre cours à l’émotion) qui caractérise aujourd’hui mon rapport à la toile. Ce filtre induirait un positionnement plus réfléchi : « Ne t’emballe pas, c’est une histoire, demande-toi plutôt ce que veut dire le réalisateur ». J’ai alors l’impression qu’il faudrait choisir entre garder mon approche actuelle, plus « émotive » ; ou entrer dans une approche davantage distante et interprétative, plus « intellectuelle ».
Ce qui me gênerait aussi en mettant des filtres c’est qu’il me semble que le fait de vibrer avec les personnages est lié à une caractéristique essentielle de notre humanité : l’empathie. Aujourd’hui quand je regarde un film et qu’un personnage souffre, je suis touché, j’éprouve une émotion. Cela me semble relever de l’empathie, comme si je la cultivais par le cinéma. Ce faisant j’ai un peu l’impression de cultiver mon humanité, de me sentir connecté aux autres humains. Face à Capharnaüm de Nadine Labaki ou à De toutes mes forces de Chad Chenouga cela me semble « ajusté » à l’intention des réalisateurs. Mais devant Les Géants… ?
Quelque part, c’est comme si je n’arrivais pas à rire simplement face à ces ados si mal embarqués. Comme si ce rire relèverait d’une forme de cynisme (eu égard à ceux, sur terre, qui vivent vraiment dans une mouise pire que ça). En livre ça passerait peut-être mieux (car tout transite pas des mots qui induisent une distance) mais ici, avec les visages et les voix de ces humains…
Et, encore une fois, quand je lis les critiques qui le voient comme un conte, je trouve Les Géants tellement beau !! Oui ces ados sont splendides, drôles, authentiques, tellement vivants et forts face à l’adversité. Ils sont en fait aussi ultra-empathiques : quand ils hésitent à rester chez Rosa et que Danny dit « Ben non on peut pas sinon c’est elle qui aurait les emmerdes » puis que Zak (ou Seth ?) rajoute « et elle aussi » en désignant sa fille trisomique.
Et Bouli Lanners crée un si bel objet ! Vu comme un conte son film est magnifique, à la fois drôle et touchant. Et ce film n’est possible que comme ça, si le réalisateur modifiait son positionnement tout s’écroulerait. Mais j’ai l’impression de ne pas y avoir accès car je me laisse toucher trop au 1er degré. Et en même temps cette approche « 1er degré » me paraît constitutive de mon rapport – « émotif » – au cinéma, en lien avec cette empathie si essentielle à notre humanité…
Un film qui ouvre la bruissante forêt des questionnements…
Créée
le 11 avr. 2023
Critique lue 14 fois
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