Dès ses débuts Philippe Garrel fut un réalisateur singulier, avec des expérimentations généralement sous influence de la psychanalyse ou orientées voyages introspectifs (Le lit de la vierge, La cicatrice intérieure). Les hautes solitudes est déjà son septième long-métrage, muet comme Le révélateur, noir et blanc comme presque toujours. Ce nouvel essai est nettement moins cryptique par sa substance, mais ses intentions et sa vocation atteignent la stratosphère en termes de fantaisie fièrement neurasthénique. La compassion présumée déborder de ce film est absente, son voyeurisme est à la fois factice (car on ne voit que des gestes, des moues) et pathologique (il n'y a aucune tension dramatique -même au tout premier degré- car l'enjeu, ou plutôt le focus est ailleurs) sinon 'involontairement' malveillant.
Ces hautes solitudes sont toutes entières à la gloire de Jean Seberg, actrice américaine morte cinq ans plus tard, emblème des années 1960 et icône pour la Nouvelle Vague. Le film se résume à une série d'images où elle minaude en roue libre. Il est censé être centré sur une femme de 40 ans à la dérive, mais on s'y morfond à plusieurs. Pour agrémenter, trois invités : Nico parlant seule (évidemment : que dit-elle, pourquoi..), puis Terzieff, obsédé et angoissé par une quelconque idée. Une autre fille, Tina Aumont, passera régulièrement à l'écran. Après s'être agitée dans son lit, Seberg plus ou moins sous médicaments ira chialer à sa fenêtre, se trouver un bonnet. Elle garde l'air dans le vague, puis jette un sourire face caméra, souvent faible et convaincu, parfois las mais appliqué.
Ce manège culmine avec une longue scène où madame remue ses cheveux, nous fixe, cherche une contenance. Oh que la photo est belle et que les poses sont probablement pleines d'intensité bien rangée à l'intérieur. Ce déballage se veut émouvant, doit prétendre charrier de profonds sentiments et nous enseigner leur langue, il n'a de la mélancolie que le squelette de principe et peut-être esthétique. La seule fonction remplie est celle poétique, pour le reste le film est vide et même pas tellement pimpant. Le spectateur est renvoyé à sa propre solitude, à son ennui et son impatience éventuels. Les zélés divers et les fans de cette Jean Seberg sauront peut-être entrer en communion ; d'ailleurs si la notoriété de l'objet est faible, les avis sont très favorables.
En somme rien d'insolite là-dedans ; c'est la radicalité dépouillée, totalement nue, le plus littéralement possible ; l'art et essai le plus pompeux et minimaliste concevable, prenant le public pour cible d'une lobotomie romantique. Au moins Le lit de la vierge portait un véritable esprit d'aventure, un peu plus qu'une audace théorique ; il avait de quoi être borné et stérile, ces Hautes Solitudes arrivent encore en-dessous, à la limite de l'inanimé. C'est donc à voir pour se branler – si on aime les actrices en question ou est un ami des dames enclin à 'aimer' celles-là – avec leur bienveillance, leurs finasseries dégénérées et leurs maladies. Les adeptes de ce genre d'intimité feraient mieux de se trouver un dieu ou une pute. Enfin, ce sont de piteuses consolations pour les esprits ultra-perceptifs d'avant-garde qui sont ici notre cœur de cible.
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