Hollywood aime les biopics. Et comment leur en vouloir ? L'Histoire regorge de récits et de personnages étonnants parfaitement cinématographiques. Les porter sur le grand écran paraît tout à fait logique, et à tous les niveaux. Les spectateurs découvriront à quel point notre passé est chargé, les acteurs trouveront l'occasion d'interpréter un homme ou une femme susceptible de mettre en valeur leur talent, les scénaristes en profiteront pour écrire une histoire sans (trop) se casser la tête et les producteurs auront des tonnes de projet à soutenir les yeux fermés.
Sauf que bien entendu, Hollywood étant un peu fainéant sur les bords, le biopic est souvent devenu la solution de facilité. Trop académique, survolant le sujet, le rendant peu passionnant, bref : l'Histoire en elle-même ne suffit pas. Reste que Darkest Hour (notre traduction n'étant qu'à moitié juste...) avait moins de risques de tomber dans ce piège.
Déjà, mettre en scène un personnage tel que Winston Churchill ne peut qu'attirer notre attention, l'homme est proprement fascinant et a dû affronter une période forte en événements marquants, ne mettant que davantage en lumière sa personnalité. Ajoutez à cela un acteur comme Gary Oldman et son goût pour la métamorphose et si l'écriture suit, la moitié du boulot est faite. Churchill étant au centre de l'intrigue et partie intégrante de presque tous les plans, la réussite du film tenait en grande partie de l'interprétation et du traitement.
Le premier point est impeccable, Gary Oldman devient Churchill sans jamais que ça devienne une simple imitation ou un grimage (les responsables du maquillage et des prothèses sont aussi à saluer). On voit le premier ministre britannique tel qu'on l'imagine, tel qu'on a pu l'apercevoir et même plus. Les bons mots sont légion et les échanges sont souvent savoureux, ajoutant une légèreté jamais inappropriée dans un film sombre au sens propre et figuré. De plus, le film évite le parti-pris ou le concert de louanges pouvant virer à l'hagiographie. On voit un Churchill conscient de son fichu caractère, de son impopularité pas nécessairement infondée, des sacrifices à assumer, jusqu'à fendre l'armure vers la fin du film. Car il est toujours nécessaire de rappeler qu'en dépit de la stature, de l'image, des accomplissements, il reste un homme comme les autres.
Aussi, son entêtement à continuer le combat n'est pas présenté comme la solution idéale. Outre les conséquences soulignées (sans être appuyées), son opposition a de bons arguments à faire valoir et ses représentants ne servent pas d'antagonistes unidimensionnels. Dans ce type de circonstances exceptionnelles, il n'y a pas de meilleure solution, mais une moins mauvaise, où il y aura forcément des pertes et des mécontents. C'est dans ce genre de contexte que les Grands se distinguent. Ce qu'a fait Churchill.
Le film reste classique dans son déroulement mais a la pertinence de se concentrer sur les premières semaines du bonhomme au pouvoir car celles-ci sont suffisantes pour résumer tout ce qui fait le sel du personnage. Pas de récit scolaire de la naissance à la mort et c'est très bien ainsi. Il est aussi appréciable qu'on ait droit aux "coulisses" de la guerre, les pourparlers, les divergences d'opinion, les manigances, le tout étant passionnant à suivre, si tenté bien sûr que le sujet nous parle. La guerre des mots est parfois aussi brutale que la guerre des armes et il n'est nul besoin de montrer des dizaines de cadavres pour nous investir dans les enjeux. On notera d'ailleurs qu'il est clairement question de l'opération Dynamo, la même au cœur du récent (et excellent) Dunkerque de Nolan. Ce genre de parallèle m'amusera toujours.
Ajoutez à cela une réalisation sans fioritures mais soignée avec un éclairage très calculé et de jolis enchaînements et le film passe du long-métrage sympathique à l'excellent témoignage historique. On pourra certes regretter un casting secondaire légèrement sous-exploité (encore que les deux femmes importantes du film apportent un soutien moral pertinent à Churchill), le fait que le métrage ne sorte pas tant des sentiers battus, sans parler d'un rythme logiquement posé qui peut mettre de côté les spectateurs les moins patients ou les plus exigeants. Ce qui relève du chipotage à mon sens.
D'un côté Darkest Hour ne fera pas date dans l'histoire du cinéma, quand bien même il évoque un événement qui a sa place dans les livres d'histoire. Cela étant, c'est l'heure la plus sombre mais la performance la plus éclairée de Sir Oldman depuis quelques temps (à quand l'Oscar fichtre ?). C'est classique et un poil convenu mais maîtrisé, pertinent, sincère, sombre sans être oppressant, léger sans rupture. Le tout avec un grand homme incarné par un grand acteur. C'est déjà beaucoup et c'est largement suffisant pour moi.
[Critique en commun avec mon frère : https://www.youtube.com/watch?v=Ang8NC475zE ]