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Qui d’autre que Brad Bird pour reprendre la famille Parr là où il l’avait laissé quatorze ans plus tôt. Une époque où le nouveau Pixar était attendu comme un événement, avant que la souris la plus cupide du monde ne vienne mettre son grain de sable dans la machine et se mette à commander des suites à tout va, espaçant les franches réussites (Inside Out, Coco…) par des films au mieux sympathiques mais oubliables. Mais Brad Bird est là et propose au studio à la lampe de retrouver de son éclat, au film de super-héros de reprendre son envol, et au cartoon made in Tex Avery de nous décrocher la mâchoire.
Si The Incredibles parlait de l’acceptation de soi pour réussir à se réaliser, cette suite reprend les acquis du premier film pour construire dessus et passer à l’étape suivante : se faire accepter des autres. Cela passe par plusieurs ressorts, notamment par l’inévitable émancipation féminine du post #MeToo, bien enclenchée par la mise en avant de Helen et Evelyn et l’inversion des rôles de sauveur avec Bob, relégué à la gestion du foyer. Et si elle se complaît dans ce changement de paradigme, lui y trouve également son compte en redécouvrant ses enfants et en comprenant les tâches qui incombait auparavant à sa femme par défaut. Et il faudra une magnifique scène de combats en parallèles où tous deux suffoquent, elle en hypoxie, lui en asphyxie, épaulés par leurs rejetons qui les aident à prendre une grande respiration, vainquant leurs démons et l’affirmation étant alors possible au sein de l’unité familiale et de la société. La continuité parfaite entre les deux films efface en un clin d'œil les années qui les séparent et forment un tout cohérent.
La seconde thématique pertinente du film est celle relevée par l’antagoniste, Screenslaver, dont le discours sonne terriblement juste malgré une finalité assez basique de grand vilain. Car il n’est pas anodin que celui-ci dénonce la passivité des gens, privilégiant la délégation de la vie à d’autres (“You don’t play games anymore, you watch game shows”, ou comment balancer sur des dérives telles que Twitch). “You put ease before quality”, ne serait-ce pas un tacle ironique aux gens se gavant de “contenu” sur les plateformes de streaming plutôt que d’aller voir du cinéma en salle? Netflix est ciblé, mais pas sûr que le message ait été libre de passer tel quel si le film était sorti après le lancement de Disney+, un an plus tard.
De la même manière, Brad Bird recentre le genre des super-héros sur ce qui fait leur force: les pouvoirs sont une extension des personnages et sont un moteur narratif. Si le sujet était déjà présent dans la mouture de 2004, il est d’autant plus pertinent en 2018, alors que Marvel est dans une surenchère permanente de la vacuité dans la puissance pour la puissance, déconnectant totalement ses héros de leur humanité (jusqu’à les foutre dans l’espace, loin de tout). Il n’y a qu’à comparer les métaphores des Spider-Man de Sam Raimi et leur remarquable absence dans la trilogie Tom Holland. Chez Bird, chaque Parr est creusé, intimement lié à ses capacités, et en conséquence, profondément humain. Un autre pied de nez à la maison mère qui fait plaisir.
Mais The Incredibles 2, c’est aussi un savoir-faire formel hors-pair. Tout n’est que richesse, fluidité, lisibilité. En témoigne ce grand moment de bravoure où Elastigirl poursuit un train dans ce fantastique terrain de jeu qu’est New Urban, l’objectif étant toujours présent dans un coin du cadre et permettant au spectateur de se repérer géographiquement à n’importe quel moment alors que notre héroïne se meut à toute berzingue, voltigeant entre immeubles et tunnels. Une prouesse. Ajoutez à cela l’incroyable musique de Giacchino, fidèle au poste, qui renchérit sur les thèmes déjà marquants du premier volet, tout en cuivres et en hommages.
Et puis il y a Jack-Jack, le slapstick ultime, tout en mignonitude et en chaos, livrant l’une des scènes les plus drôles de la dernière décennie alors qu’il se confronte à un vil raton-laveur. Chacune de ses apparitions est un régal et vient parachever la réussite totale qu’est ce film.
Vous l’aurez compris, si cette suite se balade sur des terrains déjà exploités par le premier épisode, elle le fait dans une approche complémentaire, formant un ensemble logique et fantastique. Une nouvelle démonstration du génie d’un des meilleurs cinéastes actuels, menant les équipes d’un studio qui nous prouve qu’il est toujours capable de sortir des œuvres magiques pour peu qu’il soit bien aiguillé (ce qui n’a pas été le cas depuis, Soul à part, Disney ayant passé la seconde sur sa production industrielle qui se fait au détriment de la qualité). Un troisième volet est parfois évoqué, toujours sous la houlette de Brad Bird. Espérons une œuvre du même cru, dussions nous attendre huit ans de plus (j’écris ces lignes en 2024). Personnellement, j’ai confiance.