Les Malheurs de Sophie fait partie des quelques romans qui m'ont donné le goût de la lecture plus jeune. J'ai donc un attachement tout particulier pour cette histoire et l'attendais au tournant l'adaptation cinématographique réalisée par la personne qui a commis L'Homme au bain.


C'était à prévoir, Christophe Honoré reprend tout ce qu'il y avait de détestable dans son précédent film et en fait l'étalage sans honte aucune. On retrouve donc cette prétention à filmer le vrai, alors que Sophie et Paul sonnent complètement faux. Il semble que le réalisateur ne se gêne pas pour les faire mal jouer. On pourrait rétorquer que les enfants de cet âge ont une diction imparfaite, qu'ils gazouillent, et je suis d'accord avec cela. En revanche, entendre des bambins réciter des phrases verbeuses sur un ton monotone, c'est parfaitement ridicule.


Leurs traits de caractères sont également beaucoup trop forcés pour être un tant soit peu réalistes. La scène où Paul refuse que sa punition soit levée est particulièrement ahurissante, tout comme le moment où il lit du Rousseau. Quant à Sophie, le personnage paraît tout simplement creux. Je veux dire, Honoré veut faire un film sur l'enfance et adopte le point de vue de la fillette. Cette dernière est présentée comme turbulente mais elle ne cherche pas volontairement à faire de mauvaises actions, elle est juste curieuse. Pourtant, la réflexion qui mène Sophie à la bêtises est totalement passée sous silence. En l'état, la fillette semble juste stupide, et ce n'est pas aidé par le manque d'enjeu du film. Certes, le comportement de la jeune héroïne est un problème, mais ce problème semble glisser sur elle comme sur les autres. Par exemple, elle se rend compte à un moment qu'elle a abîmé sa poupée toute neuve parce qu'elle n'a pas suivi les conseils de sa mère. Mais quand elle constate l'étendue des dégâts, elle n'est pas triste, ni déçue, ni en colère (ou que sais-je encore). Elle passe à autre chose aussi sec, et puis basta (bon j'exagère, on la voit pleurer à deux reprises, l'espace d'un plan). Ses fautes n'ont pas de répercussions.


Par conséquent, les scènettes s'enchaînent sans réel intérêt. Chaque séquence paraît déconnectée du reste, et le film renforce ce sentiment en jetant des idées dans le vide, comme les adresses du valet à la caméra, qui n'ont aucun autre but qu'un humour gênant. Il serait toutefois malhonnête de ne pas reconnaître quelques qualités à l’œuvre. On peu citer les décors naturels et les costumes, cadrés de manière à les mettre en valeur sans les souligner grossièrement. Il y a également la façon de représenter les animaux qui traduit à l'image la façon de rêver des enfants, ce qui n'est pas rien. Enfin, on constate qu'il se passe quelque chose quand Sophie interagit avec les adultes. Le rapport de force fait ressurgir les liens entre les personnages, ce qui crée quelques instants justes (notamment la scène où la bonne, déçue par le comportement de Sophie, refuse de lui adresser la parole).


Mais alors que Christophe Honoré semblait être passé complètement à côté de son sujet arrive la transition vers Les Petites Filles modèles, second roman racontant les mésaventures de la jeune Sophie. L'ellipse, faite en donnant vie à un tableau, revient sur le naufrage du bateau à bord duquel se trouvait la mère de la fillette. Impossible de ne pas relever l'ironie : c'est en parlant d'un naufrage que le film échappera au sien.


La deuxième partie se concentre beaucoup plus sur les adultes, puisqu'elle est marquée par l'entrée en scène de Madame Fichini, belle-mère de Sophie. Femme tyrannique, elle mène d'une main de fer l'éducation de sa belle-fille. Sa méchanceté amène quelque chose de ridicule au personnage (comme le chasseur et le prêtre, mais en bien fait) qui s'oppose à la droiture et à la bienveillance de Madame de Fleurville, voisine et amie de la mère de Sophie. L'arrivée de ce personnage crée enfin des enjeux et empêche l'ensemble de s'embourber.


La situation familiale de Sophie rend ses relations plus difficile avec ses deux amies, Camille et Madeleine de Fleurville. Et là il se passe quelque chose. Je ne sais pas exactement pourquoi, mais voir une dispute naître et opposer d'un côté la mauvaise fois et de l'autre la raison, voir des enfants essayer d'argumenter et de raisonner avec leur vision du monde naïve mais logique, ça m'a parlé, beaucoup plus qu'un électron libre blasé par ses propres bêtises.


Le personnage de Sophie gagne donc en profondeur petit à petit, ce qui confère à certaines scènes dramatiques l'impact dont elles avaient besoin (notamment le moment troublant où l'enfant erre dans le noir en appelant sa mère). Je ne fais mention que des passages sombres, mais la deuxième partie comporte aussi son lot de moments heureux, particulièrement beaux parce que ce sont des instants d'insouciance, d'innocence, au milieu d'un océan de malheurs. L'oscillation entre ces deux tons fait véritablement le charme de la deuxième partie, ce qui fait que, lors de la conclusion, j'avais renoué avec le film et ce qu'il proposait maladroitement. Mais il a bien fallu que Christophe Honoré nous colle une danse et une chanson puériles au lieu de terminer l'histoire avec pudeur. Il faut croire qu'il y a des choses qui ne changent pas.


Cette adaptation de la comtesse de Ségur est donc une œuvre profondément inégale. Après un première partie particulièrement insupportable, le long-métrage "mue" et abandonne tous ses problèmes pour devenir particulièrement agréable et réussi dans sa deuxième moitié. Seule la sélection musicale restera constante, dans la médiocrité (que ce soit le thème principal horripilant qui chantonne "Sophie..." avec une niaiserie accablante ou le Bury Me de Brodinski entendu dans une scène de rêve, il n'y a pas un choix pour rattraper l'autre).


Peut-être que le film aurait été entièrement bon s'il s'était appelé Les Petites Filles modèles ?

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le 27 avr. 2016

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