Lâcheté et mensonges
Ce commentaire n'a pas pour ambition de juger des qualités cinématographiques du film de Ladj Ly, qui sont loin d'être négligeables : même si l'on peut tiquer devant un certain goût pour le...
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Ce commentaire n'a pas pour ambition de juger des qualités cinématographiques du film de Ladj Ly, qui sont loin d'être négligeables : même si l'on peut tiquer devant un certain goût pour le spectaculaire "à l'américaine", franchement décalé par rapport au propos du film et à la volonté de son réalisateur de brandir une caméra révélatrice d'une certaine "vérité", "les Misérables" bénéficie avant tout d'un louable sens de la "topographie" et d'une excellente gestion de l'espace et des mouvements, qui tranche sur le tout-venant. Et assoit la crédibilité d'un film qui est pourtant clairement construit comme une démonstration assez théorique où l'on fait défiler comme à la parade tous les acteurs du jeu social des banlieues en perdition, mais qui échappe à son destin de "Dossier de l'écran" grâce à la crédibilité de ses acteurs et à un sentiment indiscutable de vécu. Le tout n'est donc pas mal du tout, et pourrait justifier le Prix du Jury reçu à Cannes dans une édition furieusement politique du festival, ainsi que les critiques louangeuses reçues depuis sa sortie.
Là où je ne peux absolument pas adhérer au film, et où sa vision m'a laissé dans la gorge un arrière goût très désagréable, c'est dans le "message", ou plutôt dans "l'idéologie" qu'il trahit, et qui me semble au mieux mensongère, au pire, dangereuse. Je m'explique :
il y a une volonté didactique dans "les Misérables" de montrer de manière artificiellement équilibrée que les torts et les vertus sont répartis presque équitablement entre les différents camps que nous voyons agir : que l'on soit flic de la BAC, caïd du trafic de drogue ou de la prostitution, Frère Musulman, politicien local faisant régner l'ordre à coup de compromissions, on est plus ou moins également responsable et impuissant devant le chaos environnant. Au niveau individuel, certains sont pires que d'autres, bien sûr, mais tout le monde est à la fois le problème et (peut-être) la solution. Cela flatte le politiquement correct de notre époque dans le sens du poil, et cela fait écho à la bien-pensance qui semble se poser aujourd'hui comme ultime rempart à la montée du RN et des extrémismes. Or, c'est tout simplement inacceptable moralement : que le scénario oublie que les imams ne font pas que philosopher sur la liberté des lions mais alimentent le terrorisme, que les flics criminels doivent être punis et sévèrement, que les truands en tout genre sont la gangrène de la société, bref qu'il existe partout et en tous lieux une frontière CLAIRE entre le Bien et le Mal (deux concepts que Ladj Ly doit considérer comme dépassés) me semble poser un problème grave. Et contribuer à ce flou éthique et moral que l'on juge souvent aujourd'hui comme une preuve de subtilité, alors qu'il n'est que le terreau fertile de tous les vices, et en particulier de la haine sociale et de la violence individuelle. Bref, sous l'apparence d'un film mesuré et lucide, "les Misérables" développe le même discours rance du "tous pourris" que la France la plus facho. J'oserais rappeler à ceux qui défendent le film qu'ils devraient revoir "The Wire", pour comprendre la différence entre un véritable point de vue moral ET politique sur la criminalité et la désagrégation sociale, et la simplification lâche, et donc dégueulasse, du scénario des "Misérables".
la toute dernière partie, littéralement catastrophique, condamne à mes yeux définitivement le film. De victimes, les enfants passent donc à bourreaux, dans une succession de scènes répugnantes où sont punis tous les acteurs ou presque que nous avons vu "mal agir" (sauf les intégristes religieux, décidément bien aimés par le film...). Le spectateur est évidemment encouragé à supporter la "révolte des gueux", et la fin, obscène, du film pose bien l'équation : en haut de l'escalier, en position surplombante de vengeance individuelle (justifiée, nous crie le visage défiguré du petit voleur), l'enfant blessé, défiant le flic de lui tirer dessus. Fondu au noir, histoire, une fois de plus, d'éviter de prendre parti, comme dans tout ce qui a précédé. Lâcheté consternante d'une conclusion évitée, qui aurait eu au moins le mérite de tirer de véritables conséquences de tout ce qui a été dit plus tôt. Le pire reste encore le dernier message du film qui s'affiche à l'écran, la fameuse phrase de Hugo : "il n'y a pas de mauvaises herbes, pas de mauvais hommes, juste de mauvais cultivateurs", littéralement à vomir. A vomir parce que le film valide alors la croyance que la responsabilité est toujours AILLEURS, que tous ces gens que l'on a vu mal agir ne sont que de pauvres victimes. De la société, de l'éducation, du racisme, etc.etc. On connaît la chanson, elle légitime la vengeance individuelle, le crime, l'illégalité, la haine.
Tiède dans son refus de prendre parti, mensonger dans sa propagande pour une relativité du Bien et du Mal, "les Misérables" est un film nocif pour la société française.
[Critique écrite en 2019]
Créée
le 29 nov. 2019
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